
La géométrie, monde de formes idéales créé par les mathématiciens grecs, a subi une mutation analytique avec l’introduction des coordonnées au XVIIe siècle, notamment par René Descartes. En 1804, Bernard Bolzano introduit des éléments précurseurs du calcul vectoriel, qui sera établi par Giusto Bellavitis (1803–1880) avec son « calcul de l’équipollence ». La définition moderne des espaces vectoriels donnée par Giuseppe Peano est développée au début du XXe siècle par des mathématiciens comme le Polonais Stefan Banach et le Hongrois Frigyes Riesz. Ils fondent l’analyse fonctionnelle, dans laquelle les fonctions jouent le rôle des vecteurs.
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Le produit scalaire
Pour un espace vectoriel E sur le corps K, le produit scalaire, ou produit intérieur, fait correspondre à deux vecteurs
Cette composition est symétrique
Le produit scalaire d’un vecteur par lui-même est égal au carré de sa norme et doit donc être positif
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Une géométrie des fonctions
À cette époque, John von Neumann crée les espaces de Hilbert, espaces fonctionnels qui peuvent être de dimension infinie. Cette structure fondamentale s’applique aussi bien à des vecteurs en géométrie de toute dimension qu’à des ensembles de suites, de polynômes ou de solutions d’équations différentielles. Ces espaces bénéficient des fonctionnalités et du vocabulaire de la géométrie vectorielle, et sont donc pourvus d’un produit scalaire (voir encadré). On ne considérera que des espaces euclidiens, à savoir des espaces vectoriels sur le corps des nombres réels.
Les fonctions, vecteurs de ces espaces fonctionnels, doivent être stables par combinaison linéaire. C’est le cas, par exemple, des fonctions continues : si f et g sont deux telles fonctions et α et β deux réels, alors α f + βg est elle-même une fonction continue. L’intégration, opération linéaire qui fait correspondre à une fonction un scalaire, est une bonne candidate pour définir un produit scalaire. On obtient par exemple un produit scalaire sur l’ensemble des fonctions numériques, continues et intégrables sur un intervalle I du corps des réels avec la forme bilinéaire symétrique
La norme associée,
la vitesse v pour l’énergie cinétique
le champ électrique E pour la densité d’énergie électromagnétique
Comme en géométrie euclidienne, il est alors formellement possible de définir l’angle
On a bien
En particulier, deux fonctions telles que
Le poids des familles
Déterminons des bases polynomiales orthogonales sur lesquelles on décomposera des fonctions de L2, tout comme on décompose un vecteur du plan sur une base orthonormée. Tout polynôme
L’ensemble En de ces polynômes constitue donc un espace vectoriel de dimension n + 1, de structure en tout point identique à l’espace ℝn +1. Parmi l’infinité de produits scalaires dont on peut munir l’espace En pour lui conférer une structure euclidienne, intéressons-nous aux produits
À chaque fonction poids p du produit scalaire
Les plus utilisés en traitement du signal portent les noms des mathématiciens
Legendre ( p ( t ) = 1),
Tchebychev (
on obtient aussi ceux de Laguerre sur [0, +∞[ avec p ( t ) = e–t
et ceux de Hermite sur ]−∞, +∞[ avec p ( t ) = exp (– t 2 ).
Polynômes de Legendre d’ordre 0 à 5.
Polynômes de Hermite Hn / 2n d’ordre 0 à 5.
Polynômes de Laguerre d’ordre 0 à 5.
Polynômes de Tchebychev Tn de première espèce d’ordre 0 à 5.
Il suffit de diviser ces polynômes par leur norme
De même que l’on peut toujours trouver une fraction « aussi proche qu’on veut » d’un nombre irrationnel (l’ensemble des rationnels ℚ est dense dans ℝ), l’ensemble des polynômes est dense dans l’ensemble des fonctions continues. Les polynômes orthogonaux Pn permettent alors d’expliciter la meilleure approximation d’une fonction f au sens des moindres carrés, en calculant les coefficients
L’approximation
Ces importantes familles de polynômes orthogonaux proviennent souvent d’une équation différentielle (dite de Sturm–Liouville), qui a pour expression
( 1 − x 2 ) y′′ − 2 xy′ + n ( n + 1) y = 0 pour les polynômes de Legendre. Cette équation apparaît en mécanique classique, en mécanique quantique (spin de l’électron), en électromagnétisme, et en général dans les problèmes présentant une symétrie sphérique.
La figure suivante illustre les différentes approximations d’un contour à l’aide d’une décomposition en polynômes de Legendre. L’ordre 0 est un cercle donnant le rayon vecteur moyen. Le contour présentant une oscillation d’ordre 3, il faut « attendre » cet ordre pour avoir une approximation « correcte » de sa forme. À l’ordre 4, l’écart entre la courbe référence et son approximation est inférieur au demi-pourcent.
Approximations polaires d’un contour par polynômes de Legendre
(seuls les ordres 0, 2, 3 et 4 sont représentés).
Les polynômes de Hermite, comme ceux de Laguerre, ont de nombreuses applications en physique mathématique et en mécanique quantique. Les polynômes de Tchebychev permettent d’effectuer des interpolations, et sont utilisés dans certains problèmes trigonométriques puisque Tn(cos θ) = cos(nθ) pour tout θ compris entre 0 et 2π. Au-delà de ces cas particuliers, toutes ces bases polynomiales sont abondamment utilisées en théorie de l’approximation, en analyse numérique et en traitement du signal, comme récemment pour la compression des signaux d’électrocardiogramme pour une meilleure transmission en télémédecine.
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L’inégalité de Hölder
Les espaces fonctionnels Lp contiennent des fonctions f de puissances pème intégrable (en identifiant les fonctions égales presque partout), c’est-à-dire telles que
En considérant deux nombres p et q conjugués, c’est-à-dire tels que
Pour p = q = 2, on trouve la célèbre inégalité de Cauchy–Schwarz :
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