
L’ambassadeur de Hollande défie Henri IV
1595, château de Fontainebleau, en Seine-et-Marne. Henri IV est roi de France depuis quatre ans. Ce jour-là, il fait visiter les magnifiques appartements, décorés par Philibert de l’Orme, à son hôte, l’ambassadeur de Hollande. Ce dernier est ébloui, mais il tempère son enthousiasme : « Sire, la France possède dans les arts et les lettres les meilleurs artistes de notre Renaissance, mais aucun de vos sujets ne figure sur la liste des personnages excellents en sciences, que le sieur Adrien Romain vient de donner dans son dernier livre. »
Henri IV sursaute et lève ses bras au ciel, ce qui le fait paraître encore plus grand qu’il n’est déjà : « Comment pouvez-vous affirmer une telle contre-vérité, Monsieur ! Que l’on aille nous quérir céans, s’il vous plaît, le Sieur de la Bigottière. »
On introduit François Viète (1540–1603), alors conseiller spécial du roi de France. L’ambassadeur sort alors le défi qu’il a apporté pour humilier cordialement les Français : « Pouvez-vous, Monsieur, résoudre cette équation proposée par notre mathématicien Adrien Romain ? »
Il ouvre une page du dernier livre d’Adrien Romain où figure cette énorme équation :
45 x – 3 795 x 3 + 95 634 x 5 – 1 138 500 x 7 + 7 811 375 x 9 – 34 512 075 x 11
+ 105 306 075 x 13 – 232 676 280 x 15 + 384 942 375 x 17 – 488 494 125 x 19
+ 4 838 4l8 000 x 21 – 3 786 588 000 x 23 + 236 030 652 x 25 – 17 679 100 x 27
+ 46 955 700 x 29 – 14 945 040 x 31 + 3 764 565 x 33 – 740 259 x 35 + 11l 150 x 37
– 12 300 x 39 + 945 x 41 – 45 x 43 + x 45 = 1.
Viète sauve l’honneur de la France !
Viète regarde le degré de l’équation, à savoir 45. Il se concentre sur les premiers coefficients : 45 aussi, -3 795, 95 634. Il se tourne alors vers l’ambassadeur, avec un imperceptible sourire que Son Excellence prend comme un simple signe de politesse : « Me laissez-vous, Monsieur, quelque temps de réflexion ? »
L’écrivain Gédéon Tallement des Réaux (1619–1692) relate dans ses Historiettes : « Monsieur Viète se mit à une des fenêtres de la galerie où ils étaient alors, et avant que le roi en sortît, il écrivit deux solutions avec un crayon. Et le soir même il en envoya vingt et une autres à cet ambassadeur. »
En fait, François Viète travaillait depuis quelques temps sur la trigonométrie ; c’est pourquoi, de retour dans ses appartements, il ne lui fallut pas longtemps pour vérifier ce qu’il avait entrevu : les coefficients du premier membre étaient exactement ceux qui exprimaient la valeur de cos(45t) en fonction de cos(t). De sorte que l’équation se réduit à cos(45t) = 1, dont les solutions sont données par 45t = 2k π avec k un entier relatif, soit x = cos(2k π /45) avec k = 0, 1, 2, 3… 21, 22.
On en déduit les vingt-trois solutions de l’équation d’Adrien Rom-ain que Viète présenta au réveil du roi : la solution x = 1 et vingt-deux autres solutions, dont la valeur de cos(2π/45). Ces vingt-deux solutions sont doubles, comme on pouvait s’y attendre, le cosinus étant une fonction paire.
Voir en particulier Histoire de maths d’André Deledicq et Dominique Izoard,
aux éditions du Kangourou (1998).
Pour les bacheliers scientifiques
Supposons que l’on vous donne à résoudre l’équation 3x – 4x 3 = 1. Vous ne savez pas résoudre une équation du troisième degré mais vous connaissez la formule trigonométrique cos(3t) = 4cos 3(t) – 3 cos(t).
En posant x = cos(t), il reste à résoudre cos(3t) = –1. Les solutions sont données par 3t = π + 2kπ pour k = 0, 1, 2, soit t = π /3, t = π et t = –π /3, ce qui fournit x = 1/2, x = –1 et x = 1/2. La solution 1 / 2 est bien double !
On pouvait aussi remarquer que –1 est une solution évidente et factoriser 4x 3 – 3x – 1 en (4x2 – 4x + 1)(x + 1).
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