L'émergence du plan complexe


Bertrand Hauchecorne

La représentation de l'ensemble des complexes par un plan est apparue bien postérieure à leur invention.

 

Wessel et son article oublié  

La représentation plane des nombres complexes est apparue plus de deux siècles après leur introduction par Rafaele Bombelli. Par des hasards malheureux, les deux premiers essais expliquant son intérêt ont été connus bien après leur parution.

Né en 1745 en Norvège, Caspar Wessel suit des études à Christiana (actuelle Oslo) puis à Copenhague. Devenu arpenteur, l'Académie royale danoise des sciences et des lettres le charge d'établir une carte du Danemark. Passionné de mathématiques, il présente à l'Académie royale, en 1797, un essai dans lequel il introduit le premier l'interprétation géométrique des nombres complexes. Cet article est publié deux ans plus tard mais reste totalement inconnu des mathématiciens de l'époque. Il est exhumé en 1897 et Sophus Lie le fait paraître en traduction française sous le titre Essai sur la représentation analytique de la direction.

 

Argand, le mathématicien inconnu

Né en 1768 à Genève, Jean-Robert Argand est un lettré passionné par les idées de Rousseau puis enthousiasmé par la Révolution française. D'abord comptable, il s'installe ensuite comme libraire à Paris. Ignorant l'essai de Caspar Wessel, il publie un texte intitulé Essai sur la manière de représenter les quantités imaginaires dans les constructions géométriques. Cependant, son ouvrage à compte d'auteur ne mentionne pas son nom.

Il envoie une copie à Legendre, qui définit cette découverte « d'objet de pure curiosité ». Celui-ci confie l'opuscule au mathématicien François Français, qui hélas meurt peu après. Son frère Jacques le retrouve, en saisit l'intérêt et le fait publier dans le Journal de Gergonne, précisant que ça provient d'un mathématicien inconnu. Argand dévoile alors qu'il en est l'auteur.

Dans cet essai, il justifie d'abord l'intérêt d'utiliser les nombres négatifs, qu'il n'hésite pas de qualifier d'« imaginaires », grâce à des exemples concrets comme des poids posés sur les plateaux d'une balance. Il les considère comme une direction associée à une valeur absolue et, généralisant son idée, il estime important de considérer alors les nombres complexes de la même manière mais en autorisant toutes les directions d'un plan. Argand étaye alors l'intérêt de cette représentation avec l'étude de problèmes de géométrie.

 

La diffusion des complexes : merci Gauss ! 

Carl Friedrich Gauss s'est intéressé très jeune aux nombres complexes. Il propose en 1799 (il a 22 ans !) la première démonstration complète du théorème fondamental de l'algèbre. Différents écrits montrent que très rapidement sa vision du plan complexe était en place mais, conformément à sa devise pauca sed matura (« peu de choses, mais des choses mûres »), il attend 1831 pour faire connaître ce qu'il nommait la « métaphysique des grandeurs imaginaires ». Il met en valeur la représentation géométrique des complexes et son importance pour visualiser des problèmes qui semblaient jusque-là totalement abstraits. C'est lui aussi qui les baptise « nombres complexes », leur attribuant ainsi le statut de nombre au même titre que les réels ou les rationnels. La réputation et l'autorité du mathématicien allemand joueront un rôle essentiel dans leur diffusion.

Non content d'avoir donné aux nombres complexes le statut de nombres, Gauss avait compris l'intérêt de les appréhender en tant que structure algébrique.

 

 

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références

Histoire des nombres complexes. Dominique Flament, CNRS Éditions, Paris, 2003.