
Des défis mathématiques pour vivre plus largement
Tartaglia était maître d'abaques à Vérone au début du XVIe siècle. Cette activité consistait à enseigner les mathématiques, mais aussi à donner des conseils en expertise dans différents domaines comme la comptabilité et l'architecture, ou encore à opérer des relevés topographiques. Conscientes de sa compétence, de nombreuses personnes s'adressaient à lui pour avoir des réponses à des problèmes mathématiques, soit de manière intéressée, soit tout simplement par curiosité intellectuelle.
Certains, très habiles dans l'art du calcul, se complaisaient à le défier et Tartaglia prenait plaisir à répondre à ces sollicitations. Ce genre de défis mathématiques était très en vogue dans ce début de la Renaissance italienne ; leurs règles étaient calquées sur celles des tournois chevaleresques. L'un des protagonistes envoyait plusieurs problèmes à son concurrent ; celui-ci devait y répondre dans un laps de temps déterminé. C'est alors à son tour de proposer des problèmes à son adversaire. Le vainqueur, outre la gloire et le prestige, pouvait faire rémunérer ses cours ou ses conseils à des prix élevés.
Lors d'un défi à Bologne, un certain Zuanne de Tonini da Coi propose à Tartaglia des problèmes se ramenant à des équations du troisième degré. À l'époque, la résolution de ce type d'équations n'était pas connue et les réponses se cherchaient à tâtons. Tartaglia était le seul à en savoir la méthode de résolution, mais il se gardait bien de la divulguer pour profiter le plus longtemps possible de cet avantage. Il n'eut bien sûr aucune difficulté à répondre et l'emporta largement.
La tradition des problèmes mis à prix
C'est une tradition bien ancrée en sciences, mais surtout en mathématiques : lorsqu'un problème redoutable fait « sécher » toute la communauté, on met sa tête à prix ! Le roi Oscar II de Suède et de Norvège a ainsi offert 2 500 couronnes (une fortune !) en 1889 pour toute contribution au problème des N corps en mécanique céleste. Henri Poincaré remporta le prix malgré une erreur finalement extrêmement féconde dans son manuscrit (voir Tangente SUP 67–68). Avant lui, en 1816, l'Académie des Sciences avait déjà proposé une médaille d'or et un prix de 3 000 francs à qui viendrait à bout du dernier théorème de Fermat. Cette question d'arithmétique, anodine en apparence, a d'ailleurs suscité de nombreuses offres de récompense, dont en 1908 le prix Wolfskehl de 100 000 marks. Sir Andrew Wiles l'a remporté en 1997 (ou plutôt ce que les dévaluations successives en avaient laissé).
Le XXe siècle voit les initiatives se multiplier : David Hilbert propose vingt-trois questions à résoudre pour le nouveau siècle naissant, et sa fameuse liste en inspirera d'autres (voir Tangente 134, page 41). Le mathématicien hongrois Paul Erdös avait pris l'habitude, lui, d'offrir des récompenses en espèces sonnantes et trébuchantes pour qui résoudrait les problèmes de combinatoire ou de théorie des nombres qui lui résistaient. Le plus important d'entre eux a d'ailleurs été résolus récemment (10 000 dollars pour qui prouverait que deux nombres premiers consécutifs sont souvent très éloignés l'un de l'autre, en un sens précis). La tradition ne semble pas devoir se perdre : Terence Tao, qui fait partie de l'équipe qui a résolu ce problème, offre lui-même 10 000 dollars à qui améliorera son résultat !
La notoriété de Fibonacci : un concours de circonstances
Étrange destin que celui du mathématicien Léonard de Pise. Il est plus connu par son surnom Fibonacci (le fils du bonace, surnom de son père Guglielmo) et ses travaux multiples sont éclipsés par la fameuse suite qui porte son (sur)nom. On lui doit la promotion en Europe du système de numération décimale. Dans son Liber Abaci datant de 1202, le Pisan se prononce pour l'adoption du système de numération indo-arabe. Une anecdote nous renseigne sur la nature explicite de ses calculs. Frédéric II de Hohenstaufen (1194–1250), empereur du Saint-Empire, grand admirateur du mathématicien, décida de le mettre au défi. Il chargea Giovanni de Parme, l'un des membres de sa cour, de proposer plusieurs problèmes à Léonard de manière à tester ses capacités. Parmi les problèmes proposés, il fallait de résoudre une équation du 3e degré (probablement tirée des écrits d'Omar Khayyām), à savoir x3 + 2x2 + 10x = 20. Que d'autres mathématiciens aient participé au défi sans parvenir à proposer la moindre solution est sujet à controverse. Mais les historiens s'accordent sur la forme sous laquelle Fibonacci proposa sa solution, à savoir la suite « 1.22.7.42.33.4.40 », écrite en base 60 et qui représente le nombre 1 + 22 / 60 + 7 / 602 + 42 / 603 + 33 / 604 + ... La partie « décimale » du résultat est exprimé en base 60, selon l'habitude de l'arithmétique de l'époque comme l'explique fort bien le savant byzantin Maxime Planude (vers 1255-vers 1305) dans son ouvrage Le Grand Calcul des Indiens.
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