
Pour parler de divisibilité, il est indispensable de considérer un ensemble, celui des nombres sur lesquels on travaille, muni de deux opérations, l’addition et la multiplication. Ce n’est cependant pas suffisant si l’on veut éviter certains pièges (voir FOCUS). Voyons un exemple bien connu, qui fait intervenir les nombres décimaux. Parmi les nombres réels, ce sont ceux qui possèdent un développement décimal fini. Ainsi 1/5 = 0,2 en est un. Par contre, 1/3 = 0,333… n’est pas en ce sens un nombre décimal. Ils peuvent tous s’exprimer sous forme de fraction : si un tel nombre u s’exprime avec un nombre fini n de décimales, en le multipliant par 10n, on obtient un entier a et donc u = a / 10n ; inversement, tout nombre de cette forme est décimal. Mais toute fraction n’est pas forcément un nombre décimal (pensez à 1/3).
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Les anneaux intègres
Considérons un ensemble A muni de deux opérations, l’une nommée addition et l’autre multiplication et notées respectivement avec les symboles + et ×. On suppose que A, muni de l’addition, est un groupe commutatif, c’est-à-dire que cette opération est associative, commutative, qu’il existe un élément neutre, noté 0 (tel que 0 + a = a pour tout a de A), et que tout élément a de A possède un opposé, noté – a (tel que – a + a = 0).
On suppose que la multiplication est elle aussi associative, commutative et possède un élément unité noté 1 (tel que 1 × a = a pour tout a de A). De plus, pour lier les deux opérations, on impose la distributivité de la multiplication par rapport à l’addition : a × (b + c) = a × b + a × c.
Enfin, on suppose que le produit de deux éléments non nuls n’est pas nul. Un ensemble muni d’une telle structure s’appelle un anneau intègre. On peut y définir la notion de divisibilité en disant que a divise b s’il existe c tel que b = a × c. De nombreuses propriétés subsistent, mais d’autres, comme le théorème de Gauss ou celui de Bézout, nécessitent que l’anneau intègre sur lequel on travaille vérifie quelques propriétés supplémentaires.
Si l’on impose l’existence de l’inverse pour la multiplication pour tout élément non nul, on parle de corps. La divisibilité n’a alors plus aucun intérêt puisque tout élément non nul a divise n’importe quel élément b ! En effet, b = a × (a’ × b) où a’ désigne l’inverse de a. C’est la raison pour laquelle on ne parle pas de divisibilité dans l’ensemble des nombres réels ou des nombres complexes.
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Des nombres inversibles… ou pas
On peut définir dans l’ensemble D des nombres décimaux la notion de divisibilité comme on le fait habituellement pour les entiers, en disant que le nombre décimal a divise le nombre décimal b s’il existe un nombre décimal c tel que b = a × c. Les entiers étant des nombres décimaux, on en déduit que, pour deux entiers a et b, si a divise b au sens habituel, cette propriété est encore vraie dans l’univers des nombres décimaux. Cependant, la réciproque est fausse : 2 divise 3 (puisque 3 = 2 × 1,5), ou encore 60 divise 9 (puisque 9 = 60 × 0,15).
Dans l’ensemble
La notion de nombre premier se retrouve dans l’ensemble des nombres décimaux ; on préfère cependant les appeler irréductibles pour éviter des confusions. Un décimal est ainsi appelé s’il n’est pas inversible et si ses seuls diviseurs sont les nombres inversibles et les nombres qui lui sont associés. Ainsi, les nombres 2 et 5 ne sont pas irréductibles puisqu’ils sont inversibles. En revanche, tous les autres nombres premiers (et tous leurs associés) le sont, et ce sont les seuls. Par exemple, 7 est irréductible, 35 l’est aussi, puisque 35 = 7 × 5 (et ces deux nombres sont donc associés).
La notion de décomposition en produit de facteurs irréductibles se retrouve également. Si l’on impose de choisir comme seuls éléments irréductibles de la décomposition les nombres premiers autres que 2 et 5, on peut décomposer de manière unique tout nombre décimal a sous la forme a = u × b où u est inversible et b est un produit de nombres premiers, élevés à certaines puissances, autres que 2 et 5. Par exemple 215,6 = 0,4 × 72 × 11.
On peut définir la notion de nombres premiers entre eux en disant que a et b le sont s’ils n’ont en commun aucun diviseur irréductible. Quelques théorèmes bien connus sont alors encore valables ! C’est le cas du célèbre théorème de Gauss : si a divise b × c et si a est premier avec b, alors a divise c. Un autre théorème bien connu, celui de Bezout, est lui aussi vérifié dans cet ensemble (a et b sont premiers entre eux si, et seulement si, il existe deux autres éléments u et v tels que a × u + b × v = 1).
Tout est relatif !
La divisibilité dans de telles structures algébriques (les anneaux) n’est en rien anecdotique. Certains d’entre eux ont montré leur intérêt en théorie des nombres. Il s’agit des anneaux d’entiers quadratiques, définis pour chaque nombre premier p comme l’ensemble des nombres de la forme
L’anneau des entiers de Gauss est quant à lui formé des nombres a + i b où a et b sont des entiers et i désigne la racine carrée de – 1 ; cet ensemble est inclus dans l’ensemble
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La divisibilité dans les entiers p-adiques
Prenons un nombre premier p et notons
Prenons un élément r = a / b avec p ne divisant ni a ni b. Non seulement r appartient à
Soit maintenant deux éléments r = a / b et s = a’ / b’ de
Ainsi, si n ≤ n’ par exemple, on vérifie que a’ = pn’–n (c’ / c) × a. En posant z = pn’–n (c’ / c), on obtient a’ = z × a, donc aussi s = r × u avec u = zb / b’. Comme p ne divise ni c ni b’, l’élément u est un élément de
Dans le cas où n’ ≤ n, on montre de même que s divise r.
Prenons comme exemple p = 7, r = 34 et s = 14. On vérifie que 14 = 14 / 34 × 34. Or 7 ne divise pas 34, donc 14 / 34 est un élément de
Références :
• Dossier « Curieux nombres p-adiques ». Tangente 190, 2019.
• Dossier « Les systèmes de numération ». Tangente 185, 2018.
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