Et si notre univers était en fait discret ? Une théorie audacieuse, la gravitation quantique à boucles, si elle était vérifiée, permettrait de réconcilier la physique des champs gravitationnels macroscopiques et la physique quantique. Le spin y joue un rôle fondamental.

L’ambition d’un modèle cosmologique est énorme. Il s’agit de comprendre l’univers dans son ensemble ; d’expliquer comment se sont formés les galaxies, les amas de galaxies, les superamas ; de proposer une version de leur histoire, cohérente, tout en étant en conformité avec l’ensemble des observations. On distingue aussi plusieurs catégories de modèles. À partir de différentes extensions et conjectures de la relativité générale pouvant définir chacune une géométrie, certains modèles se concentrent sur les objets présents dans l’espace et le temps. Enfin, des modèles se spécialisent dans la naissance de l’univers, constituant les cosmologies primordiales (Big Bang). La vision que nous avons de l’univers est limitée car l’observation nous en parvient à vitesse finie (via les ondes électromagnétiques et les ondes gravitationnelles par exemple), ce qui implique que notre champ d’observation ne constitue jamais qu’une partie de l’univers que nous entendons décrire totalement.

 

Rendre l’univers statique

Des hypothèses lourdes doivent donc être consenties. Un modèle cosmologique se contentera de fournir une description possible de l’univers, en accord avec l’ensemble des observations. Il n’est pas certain que ce type de modèle soit unique. Le théoricien est aussi contraint, s’il entend user des observations locales (les seules disponibles pour lui !), de postuler la constance des lois physiques, ce qui est loin d’être trivial et est non démontrable. Il convient cependant d’admettre le paradoxe de la « variation » à long terme de certaines constantes intervenant dans les modèles. C’est le cas pour le modèle cosmologique « standard ». L’équation d’Einstein (voir FOCUS dans article « Le tenseur : un outil indispensable »), publiée en 1915, admettait comme solution un univers non stationnaire, ce que le physicien ne pouvait admettre. Il y introduisit une « constante » additionnelle pour rendre l’univers statique. Mais l’univers est en expansion. Et, pour en décrire toutes les phases évolutives, il faut donner à la « constante cosmologique » des valeurs différentes au fil du temps !

Dans le cadre du même modèle standard, la description du réel utilise deux théories incompatibles, à savoir la théorie de la relativité générale pour la description des objets macroscopiques à grande échelle et la physique quantique pour le comportement microscopique du contenu de l’espace-temps, le tout provoquant un affrontement entre une physique du continu et une physique du discret.


La gravitation quantique à boucles entend réconcilier les deux points de vue en donnant de la géométrie de l’univers une description localement discrète, quantique et probabiliste. Elle propose une théorie du champ gravitationnel compatible avec les cosmologies primordiales et l’existence de trous noirs. Dans ce cadre, il faut penser l’espace physique comme constitué de cellules orientées séparées par un certain nombre de faces, sortes de petits polyèdres collés les uns aux autres et dont la réunion constitue l’espace. On peut aussi voir ces petits polyèdres comme les éléments d’un graphe prenant un certain nombre d’états, chaque face séparant deux briques de l’espace étant modélisée par un arc quantifié, par exemple par la mesure de la surface de séparation entre les deux grains.





La mécanique quantique décrit la matière à l’échelle atomique. Les particules élémentaires constituant la matière y présentent des niveaux d’énergie ou des moments cinétiques qui ne peuvent prendre que certaines valeurs bien précises (les quanta), proportionnelles à la constante de Planck, notée h. Cette constante exprime par exemple l’énergie d’un photon relativement à sa fréquence n, selon la relation E = hn. La gravitation quantique à boucles va considérer que les grains d’espace obéissent à des règles similaires et qu’ils sont susceptibles de prendre un certain nombre d’états bien définis.

Si chaque grain d’espace est un petit polyèdre, ses éléments constitutifs seront caractérisés par leur nombre de surfaces de mesure déterminée, et par les angles entre les normales à ces surfaces. Ces éléments vont constituer les quanta d’espace ou quanta du champ gravitationnel. Par analogie avec la mécanique quantique, on a choisi d’utiliser le terme spin pour caractériser la structure particulière de ces états. En mécanique quantique, le spin d’un électron peut être interprété comme son moment cinétique ; il peut prendre les valeurs 1/2 et – 1/2 en fonction de son sens de rotation. Une mesure de spin n’est possible que dans une direction de l’espace. C’est une conséquence du principe d’incertitude.


 

Petite échelle et grande échelle

Le passage à la géométrie discrète de l’espace se fait en appelant spins les nombres quantiques déterminant l’aire de chaque face de grains. Les volumes de ces cellules primaires deviennent des tenseurs invariants, dont les valeurs particulières constituent d’autres nombres quantiques. Les grains d’espace étant en relation de contiguïté, on va parler de réseaux de spins. Chaque état de l’espace est caractérisé par le réseau qui précise quel quantum d’espace est en relation avec quel autre. Ces réseaux de spins décrivent la structure quantique de l’espace, qui est définie par un nuage de probabilités de transition de réseaux de spins, désigné par l’expression mousse de spin. Le terme boucle qui qualifie la théorie aujourd’hui y trouve sa justification, la boucle constituant le réseau le plus élémentaire !

Tout comme l’énergie d’un photon ne peut prendre que certaines valeurs particulières, l’aire A d’une petite surface en gravité quantique doit suivre la relation suivante :

\( A=8\pi h\gamma \frac{hG}{c^{3}}\sqrt{j(j+1)}.\)


Dans cette expression, G est la constante gravitationnelle, c est la vitesse de la lumière dans le vide,  \( \gamma\)  est une constante sans dimension et j est un nombre entier ou demi-entier positif quelconque : c’est le spin de la structure granulaire de l’espace.

Certains états élevés de spin, correspondant à des nombres quantiques élevés, sont à même de décrire des champs gravitationnels macroscopiques ! Le lien se tisse entre très petite et grande échelle. En « choisissant bien » les probabilités de transition, en considérant la « bonne mousse », la théorie est compatible avec la relativité générale, qui en devient la limite. Ces résultats encourageants seront-ils confirmés ? Nul ne le sait. Mais la théorie quantique à boucles est un premier pas de construction d’un cadre mathématique pour une théorie quantique de l’espace-temps.


 

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