Notre univers pourrait être une sphère dont l'extérieur ressemblerait à un trou noir. Notre monde ne serait que le reflet d'une réalité inscrite sur la surface de cette sphère, une sorte d'hologramme. Toute l'information serait codée sur notre horizon cosmique. Un scénario pas si délirant...

Commençons notre voyage dans l’espace par le trou noir. Il s’agit d’un objet céleste si compact que l’intensité de son champ gravitationnel empêche toute forme de matière de s’en échapper. Suite à la collision et à la fusion de deux trous noirs, le trou noir final possède une surface supérieure à la somme des surfaces des deux trous noirs initiaux. Par ailleurs, l’entropie d’un système, qui caractérise le degré d’imprédictibilité de son contenu en information, croît au cours du temps. D’où l’idée que l’entropie du trou noir est proportionnelle à sa surface. Puis une nouvelle question, à laquelle nous devons répondre : quelle est la température du trou noir ?

 

Le trou noir rayonne

Comme les fluctuations du vide quantique donnent naissance à des paires particule–antiparticule, Stephen Hawking (1942–2018) a proposé un phénomène qui porte le nom d’évaporation : les forces de marée générées par le champ gravitationnel du trou noir éloignent la particule de son antiparticule avant qu’elles ne s’annihilent. Du coup, la température du trou noir est donnée par la formule gravée sur la pierre tombale du physicien théoricien et cosmologiste. Et, à l’instar de tout corps qui possède une entropie, le trou noir « rayonne » effectivement.

Hawking et d’autres pensaient initialement que l’information pouvait se perdre, mais Jacob Bekenstein (1947–2015) puis Gerard’t Hooft (né en 1946) ont proposé une alternative. La réponse se trouve à la « frontière » du trou noir, assimilable à la surface d’une sphère. À partir de cet horizon, la vitesse nécessaire pour échapper à l’attraction du trou noir, la vitesse de libération, devient supérieure à la vitesse de la lumière dans le vide. Cet horizon est le reflet exact de toute l’information que le trou noir a absorbée depuis sa création. Il s’agrandit chaque fois qu’il absorbe un nouveau bit d’information. Quatre zones, dites aires de Planck, qui mesurent chacune 10–66 cm2, définissent ainsi une unité d’entropie-information.

Leonard Susskind a fourni une explication plus générale de ce phénomène : tout ce qui est contenu dans un volume d’espace peut être décrit par l’information contenue à la surface de ce volume. Comme la quantité maximale d’information d’un volume ne peut être supérieure à celle stockée à la surface de celui-ci, l’information emmagasinée à la surface d’un volume est suffisante pour le décrire. Ce principe porte le nom de principe holographique, en référence à l’image 3D encodée dans un hologramme.

Afin de concrétiser cette idée, imaginons un poisson d’aquarium filmé sous deux angles différents. Si l’on regarde deux écrans vidéo, sur chacun desquels apparaît le même poisson, on pense d’abord qu’il s’agit de deux poissons distincts. Ensuite, après observation attentive des mouvements, on prend conscience qu’il s’agit d’un seul et même poisson. Ainsi, la séparation n’était due qu’à une perception erronée d’un phénomène unifié.

L’univers tout entier étant en expansion, les points de l’espace s’éloignent de nous. Plus ils sont loin, plus leur vitesse de fuite est grande. Lorsque cette vitesse atteint celle de la lumière, ils deviennent invisibles. Cette propriété est la même que celle d’un trou noir, mais avec une topologie inversée. Ce n’est plus l’espace – sauf les trous noirs – qui est visible partout, mais c’est notre univers observable qui est limité à une sphère dont l’extérieur se comporte comme un trou noir. Par un raisonnement similaire, toute l’information de notre univers serait codée sur la surface de notre horizon cosmique. Comme si notre monde n’était en fait que le reflet d’une réalité inscrite sur ses bords, une sorte d’hologramme.

En physique quantique, le temps est très différent de l’espace. Quand on « quantifie » un système, on remplace la variable d’espace par un opérateur, mais pas la variable de temps. Or, en relativité, le temps et l’espace sont de même nature. Par ailleurs, le principe d’incertitude, qui est au cœur de la physique quantique, est intrinsèquement incompatible avec une géométrisation. Justement, la relativité générale est une théorie fondamentalement géométrique.

Le principe holographique pourrait concilier les deux théories. C’est ainsi que le théoricien argentin Juan Martin Maldacena (né en 1968) a proposé une unification complète, dans une théorie appelée correspondance AdS/CFT. Elle utilise un espace-temps anti-de Sitter (AdS) à cinq dimensions, un modèle d’univers particulier composé uniquement d’une constante cosmologique négative. Les briques fondamentales de notre univers ne seraient pas des particules ponctuelles, mais des sortes de cordelettes vibrantes possédant une tension, à la manière d’un élastique. Ce que nous percevons comme des particules de caractéristiques distinctes ne seraient que des cordes vibrant différemment (à des fréquences diverses), qui elles-mêmes seraient à l’origine de toutes les particules élémentaires de notre univers. Pour Maldacena, cette théorie des cordes serait équivalente à une théorie conforme des champs (CFT), c’est-à-dire à une théorie quantique décrivant les interactions élémentaires, contenue sur le bord à quatre dimensions de son modèle. Depuis plus de vingt ans cependant, cette conjecture AdS/CFT n’a jamais pu être reliée au « monde réel » (notre espace-temps n’a pas cinq dimensions, et sa courbure n’est pas anti-de Sitter, jusqu’à preuve du contraire…).

Dans une telle vision, c’est ce bord qui serait semblable à notre espace-temps. Tous les phénomènes se traduisent par des lois physiques définies sur cette surface. Surtout, le modèle de Maldacena est compatible avec la relativité générale : la gravité n’y est pas une force fondamentale, mais une propriété émergeant naturellement. Finalement, elle serait un leurre, ce qui expliquerait sa très faible intensité par rapport aux autres forces. Enfin, le modèle intègre sans peine d’éphémères trous noirs émettant un rayonnement.

L’intérêt du modèle est qu’il propose des prédictions testables. La « pixellisation » des bordures de notre espace-temps devrait perturber les distances intergalactiques en provoquant de minuscules ondes gravitationnelles. Elle devrait également biaiser certains rayons cosmiques en provenance des supernovæ. Mais pour le moment, aucune de ces prédictions n’a été vérifiée.

 

Un trou noir… dans l’autre sens

Peu avant sa mort, Stephen Hawking tint compte de l’unification des différentes versions de la théorie des supercordes, qui porte le nom de théorie M (l’interprétation de la lettre reste ouverte...) Elle utilise la supergravité à onze dimensions. Le savant se basa sur les travaux de Leonard Susskind et de Juan Maldacena pour présenter une nouvelle hypothèse résolvant le paradoxe de l’information. Il a proposé que les particules absorbées par un trou noir modifient la géométrie de son horizon en étant codées sous la forme de supertranslations. Ces notions mathématiques décrivent la conservation de certaines symétries, notamment celles de l’information. Ensuite, l’évaporation précitée restituerait l’information sous la forme du rayonnement. Finalement, les supertranslations, elles aussi, agiraient sur l’horizon du trou noir comme des hologrammes.

Ainsi, grâce aux mathématiques, la boucle serait bouclée. L’horizon de notre univers se comporterait comme celui du trou noir, mais dans l’autre sens.

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