Zaha Hadid, architecte de l'impossible


Élisabeth Busser

Architecte hors normes dans les bâtiments qu'elle dessine, Zaha Hadid a permis à ses constructions de transcender l'angle droit. Le prix Pritzker qui lui a été remis en 2004, attribué pour la première fois à une femme, prouve l'immensité et l'originalité de son talent.

Le décès brutal, le 31 mars 2016, de l'architecte britannique d'origine irakienne Zaha Hadid a ramené sur le devant de la scène cette conceptrice d'innombrables constructions de l'impossible. Sa prédilection pour les faisceaux de droites et les enchevêtrements de courbes, les angles aigus et les plans pas toujours parallèles montre combien Zaha Hadid, dans ses créations complexes aux formes improbables, ne s'est jamais beaucoup éloignée des mathématiques.


Des mathématiques à l'architecture

 

 Zaha Hadid, née à Bagdad en 1950, a commencé par étudier les mathématiques, à l'université américaine de Beyrouth, puis l'architecture à l'Architectural Association School Of Architecture de Londres. C'est alors qu'elle s'intéresse à la géométrie. « J'ai compris, dit-elle, qu'il y avait un lien entre la logique mathématique, l'architecture et l'abstraction. La géométrie entretient une relation profonde avec l'architecture, davantage encore aujourd'hui avec les langages de programmation informatique avancés. » Elle va, à peine diplômée, s'associer à son ancien professeur Rem Koolhaas en 1977, puis créer sa propre agence à Londres en 1980. Elle peut alors donner la pleine mesure de son imagination, concevant déjà des bâtiments aux angles agressifs comme la caserne des pompiers de Vitra à Weil am Rhein (Allemagne) en 1993 ou aux courbes osées comme l'usine BMW à Leipzig en 2005.

 

Chez elle, point d'angle droit, contrairement à Le Corbusier qui avait dédié un poème à cette figure géométrique. « La vie ne s'intègre pas dans une grille » affirmait-elle. Parallèlement à son activité d'architecte, Zaha Hadid va enseigner dans les plus prestigieuses institutions internationales comme la Graduate School Of Design de Harvard, la Hochschule für Bildende Kunst à Hamburg ou l'École d'architecture de Chicago, considérant l'enseignement comme une expérience supplémentaire d'apprentissage. L'utilisation de l'outil informatique va faire évoluer ses œuvres vers un design plus fluide, la technologie avancée et l'imagination de l'architecte se nourrissant l'une de l'autre, puisque, écrit-elle, « nos créations les plus avant-gardistes contribuent au développement de nouvelles technologies numériques et de techniques de construction, et ces nouvelles évolutions nous poussent à leur tour à aller toujours plus loin dans le domaine de la conception ».

 

 

Pour la conception, le cabinet de Zaha Hadid s'appuie sur l'un de ses quatre associés, Patrik Schumacher, théoricien et promoteur du « parametricism », technique de conception informatique qui fait suite au déconstructivisme de la fin des années 1980, ce style déraisonnable où les bâtiments semblent avoir été touchés par un séisme, à la manière de la Fondation Louis-Vuitton, de Franck Gehry, au Bois-de-Boulogne à Paris. Le « parametricism », lui, substitue aux anciennes bases (lignes droites, rectangles, cubes, cylindres, pyramides, globes et demi-sphères) des entités dynamiques qui ont pour nom splines, nurbs et autres courbes aux paramètres fluctuants. Ici, les volumes ne s'agenceront pas de manière continue ou homogène. Ils varieront, mais en restant corrélés selon un paramètre introduit dans leurs équations, en quelque sorte la quatrième dimension, le « t » des équations d'Einstein. Le résultat ? Des formes surprenantes, comme celles du Heydar Aliyev Center, centre culturel de Bakou, capitale de l'Azerbaïdjan.


De l'architecture aux mathématiques

 

Parmi les œuvres de Zaha Hadid déjà construites, de nombreux musées, en particulier scientifiques. L'un de ceux-là est le Phaeno, musée scientifique de Wolfsbourg en Allemagne. Inauguré en 2005, il montre essentiellement, comme son nom l'indique (« Phaeno » dérive de Phänomen, « phénomène » en allemand), des phénomènes scientifiques et techniques, et a proposé en 2013 l'exposition mathématique Imaginary. Le bâtiment lui-même, reptile, iceberg ou ovni selon les goûts, est d'une géométrie parfaite, la surface d'exposition étant portée par dix cônes de configurations variées, un vrai défi aux lois de l'équilibre.

 

Zaha Hadid a même été choisie pour concevoir la galerie dédiée précisément aux mathématiques du musée des sciences de Londres, financée par les mécènes David et Claudia Harding, et destinée à « explorer comment les mathématiciens, leurs outils et leurs idées ont aidé à façonner le monde moderne ». L'ouverture est prévue en décembre prochain. La galerie présentera quatre cents ans d'intelligence humaine, de la Renaissance à aujourd'hui, exposant des instruments mathématiques « manuels » et même un biplan grandeur nature de 1929, suspendu au plafond, destiné à illustrer la modélisation mathématique des théories de l'aérodynamisme. La galerie prévue par l'architecte ressemblera d'ailleurs à une soufflerie, dont les courbes du plafond seront le champ des turbulences, magnifique illustration des concepts mathématiques, à laquelle Zaha hadid aura contribué.

 

 

 

 

 

Les œuvres d'exception créées par Zaha Hadid dans le monde entier, de l'Opéra de Canton en Chine au MAXXI (musée national des arts du XXIe siècle) à Rome, en passant par la piscine olympique des JO de 2012 à Londres, le bâtiment Pierres Vives à Montpellier ou la gare maritime de Salerne en Italie, inaugurée après sa mort, continueront à faire vivre sa géométrie « revisitée ». Les récompenses multiples dont elle a été honorée, en particulier le prix Pritzker en 2004, attribué pour la première fois à une femme, prouvent l'immensité et l'originalité de son talent.

 

 

Lire la suite