
Les biais, physiques ou psychologiques
Lorsque les autres ne font pas comme nous, ne votent pas comme nous, ne regardent que des séries idiotes (les nôtres sont si intéressantes !), nous les considérons, au mieux, comme des gens pas très malins, au pire comme de parfaits imbéciles. Il se trouve que nous sommes globalement tous pareils, eux et nous, que nous subissons tous des biais énormes, en particulier si cela nous concerne directement : nous sommes incapables de faire une introspection honnête.
Le problème commence avec nos sens. La vue, sens le plus utilisé, n’est pas aussi perfectionnée qu’on se l’imagine. Le nerf optique, qui relaie les informations des photorécepteurs jusqu’au cerveau, a, chez tous les vertébrés, la mauvaise idée d’aller jusqu’à la rétine, formant ainsi une zone aveugle. Ce trou est imperceptible dans la vie de tous les jours car notre cerveau « remplit les blancs », mais un petit test facile à réaliser nous le montre. Marquez sur une feuille de papier deux croix à l’horizontale espacées d’environ 8 cm, placez-vous environ à trois fois cette distance, fermez l’œil gauche et regardez (avec votre œil droit) la croix de gauche. En déplaçant légèrement la feuille, la croix de droite devrait disparaître.
Ce qui est vrai pour la vue est vrai aussi pour le reste de notre activité cérébrale. Notre mémoire est tout aussi médiocre, ainsi que notre capacité à analyser les évènements ou celle de donner sens à nos actes. À chaque fois, l’histoire présente de « petits ou gros trous » et le cerveau, docile, colle toutes les rustines qu’il faut pour « créer » du sens.
Stéréotypes et théorie du complot
Si vous êtes persuadé que telle personne est maladroite, vous verrez toutes ses actions à travers ce prisme. Dès qu’un objet tombera, vous y trouverez une confirmation de votre théorie (c’est le biais de confirmation), quand bien même elle renverserait sa tasse moins fréquemment que vous.
Une expérience célèbre : les rats et le labyrinthe. On présente à deux personnes un petit groupe de rats à qui elles doivent apprendre à sortir d’un labyrinthe. À la première, on explique que les rats sont remarquablement doués ; à l’autre, que ce sont les pires rats de la Terre. Bien sûr, les rats sont choisis au hasard, il n’y a ni « bon » ni « mauvais » groupe. Malgré cela, après la séance d’entraînement supervisée, les rats « doués » réussissent mieux que les autres…
Les théories du complot sont une version extrême du même mode. Une fois le doute instillé sur une succession d’évènements (« Vous ne trouvez pas bizarre, vous, que […] ? »), le cerveau ne fera que chercher des confirmations de la bizarrerie supposée en occultant ce qui irait dans l’autre sens. Peu importe les probabilités, la crédibilité douteuse des témoins à charge, l’invraisemblance…
Quand on rencontre une personne atteinte de « complotite aiguë », on se dit qu’elle ne doit pas être très maligne pour ne pas voir la forêt derrière l’arbre. Faux ! Nous sommes tous capables des mêmes erreurs. On invente des morceaux d’histoires pour donner du sens.
Esprit (critique), es-tu là ?
La partie « raisonnement » n’est pas la première à se mettre en route. Les réflexes, les émotions prennent une large avance et rigidifient le cadre dans lequel le cerveau gauche, celui de la réflexion et du langage, va agir. Sa marge de manœuvre est ainsi très réduite. L’affaire se complique quand on fait intervenir les biais créés par d’autres. Dans une expérience, on fait entrer un premier groupe dans une pièce A décorée à la mode « business » avec attaché-case, portefeuille en cuir… et un second dans une pièce B décorée avec des objets du quotidien. On les fait ensuite changer de pièce pour jouer à un jeu où ils doivent partager de l’argent. Le groupe étant passé par la pièce « business » a une tendance très affirmée à être beaucoup plus dur en affaires que l’autre. Une fois de plus, les sujets sont incapables de réaliser qu’ils ont été conditionnés et trouvent des explications farfelues à leur comportement.
Heureusement, les biais, qu’ils soient internes ou créés par d’autres, ont des parades. La première est d’admettre que nous sommes faillibles, que notre mémoire n’est pas meilleure que celle de notre cousin. Une autre consisterait à faire des statistiques pour savoir à quel point ce qu’on trouve bizarre ne l’est pas. Mais les statistiques sembleront souvent fastidieuses et pèseront peu face aux impressions premières et aux fortes émotions…
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