Démystifier les « codes secrets » de la Bible


Jean-Christophe Novelli

Alain disait : « On prouve tout ce qu'on veut ; la vraie difficulté est de savoir ce qu'on veut prouver. » Avec l'avènement de technologies permettant de produire de faux documents, avec l'envie de chacun de s'inventer des informations pour confirmer ses idées, cette citation a de beaux jours devant elle...

Ainsi en est-il des chercheurs d’or modernes, les fouilleurs de texte à la recherche d’un message codé, caché ou dissimulé : ils veulent avoir raison contre l’évidence et s’ingénient à débusquer le moindre indice leur permettant d’étoffer leurs théories. Quand l’envie de trouver un message se double d’une certitude que quelque chose y est caché, que le texte est « forcément » miraculeux, « forcément » écrit par une puissance supérieure, on voit la tentation de faire rentrer le réel dans sa théorie coûte que coûte. Bien sûr, parmi tous les livres existants, beaucoup s’acharnent sur le Livre, celui qui a été le plus imprimé et vendu : la Bible (2,5 milliards d’exemplaires). Les incroyants devraient admettre leur faute si on leur montrait, preuves à l’appui, que ce texte raconte l’avenir de l’humanité et a prévu Alexandre (le Grand), Vladimir (Poutine) et Donald (Duck et Trump) !

Alors beaucoup s’y sont essayés, et un auteur américain récent, Michael Drosnin, utilisant des moyens informatiques et le travail de nombreux chercheurs, a publié plusieurs ouvrages sur le sujet. Il y mentionne en particulier que la Bible avait tout prévu, notamment les assassinats de John Fitzgerald Kennedy, d’Anouar el-Sadate et de Yitzhak Rabin, ainsi que de nombreux autres faits historiques.

 

La méthode Drosnin

On part d’un texte standard, dont on commence par supprimer tout ce qui n’est pas une lettre (la ponctuation, typiquement). Ensuite, on cherche des mots par la méthode dite des suites arithmétiques : on choisit une lettre de départ quelconque du texte, ainsi qu’un entier n, positif ou négatif. Puis, de la lettre de départ, on passe à la lettre qui est à distance n de celle-ci dans le texte, et ainsi de suite. Si on trouve un mot, c’est qu’il était caché dans le texte !

Dans le cas de Drosnin, puisqu’il s’agit d’étudier la Bible, on prend la version « la plus authentique », celle du texte en hébreu. On recherche alors dans le texte des mots prédéfinis (d’un dictionnaire par exemple) et, une fois trouvés un certain nombre d’entre eux, on interprète le résultat. Drosnin s’est passionné pour ce jeu et a trouvé beaucoup de points « troublants », notamment des références à des faits historiques. Mais quelle est la portée réelle de ces observations ?

Déjà, l’hébreu a deux grands avantages par rapport à d’autres langues : l’alphabet ne comporte que vingt-deux lettres, et les voyelles n’y sont pas écrites. Plus l’alphabet est court, plus on a de chances de trouver une suite de lettres, l’extrême étant avec un alphabet à une lettre… Mais surtout, si l’on n’a pas les voyelles, en français, « trt » engendre de nombreuses possibilités : tarte, tourte, truite, trait, tiret, étirât, tort… et permet ainsi à chacun de voir la solution qu’il veut en laissant libre cours à son imagination.

Ensuite, on a toute liberté de chercher des mots dans tout le texte, avec n’importe quelle taille de saut, en avant ou en arrière. Cela fait beaucoup de possibilités !

Enfin, même en présence d’un ensemble de mots, encore faut-il savoir comment en faire l’interprétation « la plus juste ». Si l’on dispose de « avion » et de « tour », certains penseront automatiquement au 11-Septembre, d’autres penseront « tour de contrôle », d’autres encore à « faire un tour en avion », etc.

À chaque étape du processus, l’ensemble des possibilités est immense, et chacun peut y voir ce qu’il veut. De plus, si dans la version du texte utilisée pour l’étude une seule lettre était incorrecte, ou manquante, ou rajoutée, la jolie suite arithmétique du texte utilisé aujourd’hui n’aurait pas d’existence dans le texte d’origine ! Ce qui limiterait objectivement sa crédibilité… Dans la mesure où ce texte a été copié en série de nombreuses fois, la copie numéro m provenant de la copie numéro m – 1, le texte a eu bien des chances de changer avant d’arriver jusqu’à nous, comme le prouve si bien le jeu du téléphone arabe…

 

L’argumentaire démoli

Malgré tout, en présence de fervents adeptes de la théorie du livre miraculeux, tous ces arguments n’ont aucune portée et rien ne peut ébranler leur certitude. Reste alors l’argument massue, le plus efficace de tous. Plutôt que d’essayer de faire observer que la méthode permettrait de démontrer n’importe quoi, ce qui laisserait toujours la possibilité à chacun de se dire que quand même, autant de vérités en un seul livre ne peut pas être dû au seul hasard, proposons autre chose. Si réellement le hasard n’y est pour pas grand-chose, alors il devrait être impossible de reproduire le jeu sur un texte quelconque.

Pour les besoins de l’exercice, choisissons (au hasard, bien entendu) un texte issu du numéro 183, daté de juillet 2018, de votre journal préféré. Il s’agit de l’article De l’intuition à la rigueur de Fabien Aoustin. Notre confrère mathématicien est un rédacteur de grande qualité, mais sans doute pas le meilleur oracle du XXIe siècle. Et pourtant…

Si l’on prend les deux mille premières lettres de son texte, il est facile d’y trouver des mots qui résonnent curieusement aujourd’hui. En effet, on y débusque : « manu », « gilet », « jaune », « emeute », « abois », « elise » (une faute de retranscription, bien sûr), « panda ». Quel talent !

Enfin, rien de tout cela ne confirme ou n’infirme que la Bible est un livre miraculeux, car il ne faut pas confondre démolir un argumentaire et démolir sa conclusion…

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références

 La Bible : le code secret. Michael Drosnin, Robert Laffont, 2011.
 Dossier « L'astrologie ». Tangente 169, 2016.