
La naissance des tables de logarithmes
Si la « fonction logarithme » dit encore quelque chose à la jeunesse d'aujourd'hui, les « tables de logarithmes », après quatre siècles d'usage intensif partout où des calculs un peu sophistiqués s'avéraient nécessaires, ne sont plus dans le paysage de notre siècle, supplantées par les instruments électroniques.
Ces instruments de calcul sont chargés d'histoire. Leur création a souvent été accompagnée de multiples péripéties de financement ou de diffusion, et de problèmes techniques comme le codage des angles. Les premières de ces tables apparaissent au XVIIe siècle : en 1614, celle de John Neper, officialisant la naissance des logarithmes, donne les logarithmes de sinus ; en 1615, dans Trigonometria Britannica, celle de Briggs, qui a travaillé avec Neper, fournit les logarithmes décimaux ; en 1620, celle de Jost Bürgi, astronome suisse travaillant aux côtés de Kepler, répertorie plutôt des antilogarithmes, permettant, étant donné un nombre b, de trouver le nombre a ayant b pour logarithme. Sa table avait d'ailleurs été établie avant 1611.
L'arrivée dans les écoles
Les tables de logarithmes sont ensuite sorties du bureau des savants, astronomes et calculateurs, pour devenir scolaires, donnant enfin les valeurs de la fonction logarithme. La plus connue est celle dite « de Bouvart et Ratinet », deux auteurs indissociables.
Sa première édition est antérieure à 1905. Cette table va donner invariablement au fil des années les logarithmes décimaux des nombres de 1 à 10 000 et sera, selon les années, complétées par des tables trigonométriques. Le mode d'emploi très précis et détaillé figure à la fin du document : comment chercher le logarithme d'un nombre qui est dans la table, d'un autre qui est entre deux nombres de la table, comment utiliser les petites tables d'interpolation linéaires insérées dans les marges, comment faire les choses à l'envers (trouver un nombre dont on connaît le logarithme), bref, tout ce qu'il faut pour faire de bons et beaux calculs. On comprend, en ouvrant à nouveau l'une de ces anciennes tables, la nostalgie de Georges Perec et son 254e souvenir : « Je me souviens des tables de logarithmes de Bouvard et Ratinet » (sic.), qu'il orthographia d'ailleurs avec un « d » à « Bouvart »… troublé par l'émotion du souvenir des logarithmes ?
Lacunes et erreurs : des débuts laborieux
La table de logarithmes que publie la Descriptio de Neper comporte sur chaque page sept colonnes, de C1 à C7 :
On trouve ainsi dans cette table, en colonne C6 les cosinus des angles de C1, et en colonne C4 le logarithme de la tangente de ces angles. Elle ne fait donc pas encore référence au logarithme en tant que fonction.
Il a aussi existé une très officielle table des logarithmes dont seule une version manuscrite a été rendue publique, en 1795, par le Bureau du cadastre, sous l'impulsion de Gaspard de Prony, ingénieur et encyclopédiste. Ce travail, qui a mobilisé une centaine de personnes pendant onze ans (!), n'a pratiquement jamais été utilisé. Sitôt publié, ce document fut supplanté par la table de Callet (Didot Éditeur, Paris), qui comportait beaucoup moins d'erreurs.
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