Le 24 novembre 1960, Raymond Queneau, écrivain amateur de mathématiques, et François Le Lionnais, mathématicien ami des lettres, créaient l'Oulipo (Ouvroir de littérature potentielle), avec la participation de mathématiciens comme Paul Braffort et Claude Berge, et de Jacques Bens, Jean Lescure et Marcel Duchamp. Plus tard les rejoindront Georges Perec, Luc Étienne, Jacques Roubaud, Italo Calvino...

L'Oulipo, marqué par certains travaux de Bourbaki et d'Alfred Jarry, se propose d'examiner en quoi et par quel moyen, étant donnée une théorie scientifique concernant le langage et donc l'anthropologie, on peut y introduire du plaisir esthétique, de l'affectivité et de la fantaisie.

Créativité et humour président donc aux recherches de l'Oulipo, dont les instigateurs sont logiciens, mathématiciens, artistes, créateurs, pour qui tous les transferts des outils mathématiques vers le langage sont envisageables et mis en pratique. Une contrainte, loin de nuire à la créativité, aide à son développement en obligeant à un balayage complet d'un champ donné. Ainsi, Perec écrit un roman sans utiliser la voyelle « e » (la Disparition, Gallimard, 1969), Calvino construit l'intrigue d'un livre selon les carrés de Greimas (Si par une nuit d'hiver un voyageur, Le Seuil, 1981).

Cinquante ans après sa création, l'Oulipo est plus fécond que jamais. Il ouvre ses ateliers d'écriture et fait partager ses jeux à un nombre croissant d'heureux initiés.

 

 

Jacques Roubaud, poète mathématicien

Né en 1935, Jacques Roubaud a placé son itinéraire d'écrivain sous le double signe des mathématiques et de la poésie. Mathématicien de profession, très tôt attiré par la littérature, Jacques Roubaud aborde séparément les deux disciplines, qu'il tient pour distinctes jusqu'à sa rencontre avec Raymond Queneau, lui aussi écrivain et mathématicien. Cette confrontation le conduit à une cooptation par l'Oulipo en 1966. À la suite de Queneau, Jacques Roubaud explore les infinies possibilités du nombre et du langage.

Il aime la poésie, les contes et les jeux. L'algèbre et la géométrie lui ont appris les techniques de transformation, les processus de réduction, de translation, de rotation, d'homothétie. Les échecs et surtout le go l'ont initié à toutes les formes de la stratégie, aux déplacements et aux renversements des figures et du sens. Il s'ensuit une langue habile au maniement comme à la dislocation des rythmes, mais aussi à la parodie, à l'équivoque, au contrepet. La plupart de ses livres sont livrés avec un mode d'emploi et font participer le lecteur à des découvertes, des reconstructions ou des démultiplications du jeu. Dans Mono no aware (Gallimard, 1970), comme dans Trente et un au cube (Gallimard, 1973), Roubaud propose au lecteur une structure logique, mathématique, rigide certes mais qui n'exclut ni la spontanéité, ni l'émotion, ni l'humour.

Dans la Princesse Hoppy ou le conte du Labrador (Hatier, « Fées et Gestes », 1990), le lecteur se voit aussi proposer des devoirs, tout au long du récit. En parfait oulipien – le conte obéit lui-même à des contraintes –, Roubaud fournit non seulement des indications, mais encore un appendice composé par… un chien Labrador. L'une des questions posées n'a reçu sa réponse que vingt-cinq ans après parution ! 

 

Luc Étienne

Les premières compositions littéraires connues de Luc Étienne Périn (1908–1984) sont des bouts rimés, vers 1933. Professeur de mathématiques et physique, il publie ses premières patapèteries en 1952 dans les Cahiers du Collège de pataphysique, dont il devient régent et chef de travaux pratiques. Il publie l'Art du contrepet (Pauvert, 1957) et tient au Canard Enchaîné, jusqu'en 1984, la rubrique « L'album de la comtesse ».

Rompu à tous les exercices littéraires (argot, palindromes, charades, limericks…), il devient membre de l'Oulipo en 1970. Sa créativité et sa science du verbe le font considérer comme un véritable ingénieur du langage. Musicien, il étend sa palette aux expressions sonores, comme les palindromes phonétiques, la musique décimale ou les superpositions.

R

E

L

A

T

E

E

E

C

U

M

E

N

T

L

U

C

A

R

N

E

A

M

A

R

R

E

R

T

E

R

R

A

I

N

E

N

N

E

I

G

E

E

T

E

R

N

E

L

 

Mot carré de sept cases de côté, tour de force de Luc Étienne :
à l'époque, il n'y avait pas d'ordinateur !

 

Lire la suite gratuitement


références

L'art du contrepet, Pauvert, 1957.
L'art de la charade à tiroir, Pauvert, 1965.
La méthode à Mimile ou l'argot sans peine, La Jeune Parque, 1974 (avec Alphonse Boudard)
Luc Étienne, ingénieur du langage, Au signe de la licorne, 1998 (dossier réuni par Pascal Sigoda).