
Mesurer la réaction des consommateurs
Les économistes s'intéressent à l'impact d'une hausse du prix d'un produit sur sa consommation. On note p le prix unitaire du bien et D sa demande (ou quantité commandée pendant une période de référence) ; en général, une augmentation Dp du prix entraîne une diminution DD de la quantité commandée. Cette réaction de la demande pourrait être mesurée par le rapport DD / Dp, mais ce nombre présente deux inconvénients. Déjà, il dépend visiblement des unités dans lesquelles sont exprimées les deux variables (par exemple, en euros ou en dollars pour p, et en kilogrammes ou en tonnes pour D).
Ensuite, un même rapport peut se rapporter à des situations économiques différentes. Ainsi, lorsque le prix varie de 2 à 3 unités (augmentation de 50 %), tandis que la demande passe de 10 à 4 (diminution de 60 %) ou de 1 000 à 994 (diminution de 0,6 %), le rapport en question est, dans les deux cas, égal à –6, mais la demande est impactée différemment puisqu'elle reste pratiquement inchangée dans la seconde situation alors qu'elle varie sensiblement dans la première. La bonne notion à introduire est en fait l'élasticité.
Cournot, le précurseur
Le mathématicien français Antoine-Augustin Cournot fut un pionnier dans plusieurs domaines : en épistémologie, en calcul des probabilités, et en analyse, matière qu'il appliqua avec succès pour résoudre des problèmes économiques. Son célèbre ouvrage Recherches sur les principes mathématiques de la théorie des richesses (1838) marque le début de l'économie mathématique. Il s'y intéresse notamment à l'étude de la fonction de demande, définie par l'égalité D = f (p) où D représente la quantité du bien demandée et p son prix unitaire (ces deux grandeurs étant exprimées en une unité adéquate). Cherchant à maximiser le produit p × f (p), qui représente la valeur totale du bien considéré, il écrit ceci :
« Selon que l'on aura
ou
,
l'accroissement de prix fera augmenter ou diminuer le produit p × f (p) ; et l'on saura conséquemment si les deux valeurs p et p +
(
étant une petite fraction de p) tombent en-deçà ou au-delà de la valeur qui porte au maximum le produit en question. » De ce raisonnement original, on déduit (en valeur absolue) que le maximum de la valeur totale du bien est atteint lorsque
,
c'est-à-dire lorsque l'élasticité vaut –1.
Cournot n'a jamais utilisé le concept d'élasticité, qui était alors inconnu, mais il distinguait déjà (implicitement) ce que l'on a appelé par la suite des demandes élastiques (lorsque ou
) et inélastiques ou rigides (quand
).
Le concept d'élasticité, tel que nous le connaissons aujourd'hui, n'a été introduit réellement qu'un siècle plus tard, par l'économiste britannique Alfred Marshall. Il désignait encore l'élasticité par le terme (anglais) responsiveness (qui peut se traduire en français par « réactivité ») ; ce mot est suggestif puisque l'élasticité mesure la sensibilité de la demande en « réponse » à une variation du prix.
La notion d'élasticité
À la suite de Cournot et de Marshall, les économistes ont proposé de remplacer les variations absolues et
par leurs homologues relatives,
et
, pour étudier la réaction de la demande (voir ci-dessus).
Ils considèrent donc les variations du prix unitaire et de la demande, exprimées en pourcents : le quotient obtenu est l'élasticité de la demande D par rapport au prix p :
Il existe d'autres formes d'élasticité de la demande. Par exemple, lorsque la fonction de demande, exprimée comme une certaine fonction f de p, est dérivable, l'élasticité de la demande pour un prix p est souvent estimée par le nombre
.
Ce dernier est en fait obtenu en prenant la limite de lorsque
tend vers 0.
En général, E(D,p) ne coïncide pas avec , sauf lorsque f est une fonction affine, auquel cas les économistes parlent de demande linéaire.
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