Sans la règle, sans le compas...


Jean-Jacques Dupas

Toute construction à la règle et au compas peut se réaliser au compas seul. Ce résultat assez extraordinaire est surprenant.

Avec le seul compas…

 Durant la campagne d'Italie, Napoléon rencontre le géomètre italien Lorenzo Mascheroni (1750–1800). Ce dernier est enseignant à l'université de Pavie, là même où Christophe Colomb fut élève. Le plus célèbre ouvrage de Mascheroni reste son Geometria del compasso (« la géométrie du compas »), publié en 1797 et dédicacé en l'honneur de Napoléon. Le principal résultat en est que toute construction réalisée en un nombre fini d'étapes à la règle et au compas peut se réaliser au compas seul, c'est-à-dire sans la règle, et donc sans droite !

On ne peut certes pas construire une droite uniquement avec un compas, mais tous les points d'une droite constructible à la règle et au compas sont constructible au compas seul.

Les enseignants de mathématiques veilleront à ne pas crier trop fort cette nouvelle dans leurs classes, de crainte que les élèves n'amènent plus leurs règles sous prétexte qu'elles sont inutiles. Ils auraient raison : c'est démontré. Pour leur malheur, cependant, on peut réaliser la plupart des constructions à la règle graduée, mais cela est une autre histoire. 

 Un Danois précurseur !

Euclides Danicus, que ce dernier a déniché dans une boutique de livres d'occasion. Hjelmslev le fait publier en 1928. Le livre avait disparu après sa première publication en 1672 (en danois et en néerlandais). Son auteur, Georg Mohr (1640–1697), un autre Danois, avait anticipé le résultat de Mascheroni (voir ci-contre) de plus de cent cinquante ans !

Les références à l'ouvrage Euclides Danicus en faisaient un simple commentaire des Éléments d'Euclide. En outre, les langues danoise et néerlandaise, dans lequel le fascicule fut publié, ont contribué à ce que ce dernier passe totalement inaperçu.

 

Il ne faut pas confondre Georg Mohr avec Christian Otto Mohr (1835–1918), l'ingénieur allemand que les mécaniciens connaissent bien pour le cercle de Mohr représentant les contraintes.

 

Minimiser le nombre de constructions

Toutes les constructions euclidiennes se faisant à la règle et au compas, l'exercice est de refaire toutes les constructions d'Euclide au compas seul, et évidemment de la façon la plus élégante possible, c'est-à-dire en minimisant le nombre de constructions.

Ce résultat pose la question de l'utilité des droites en géométrie et de leur légitimité. On peut en outre se demander si on ne peut pas aller encore plus loin dans l'économie de moyens en se restreignant non plus à un compas dont l'ouverture est variable, mais à un compas dont l'ouverture serait fixe. Une récente découverte d'une traduction arabe des œuvres de Ptolémée montre que l'on s'est déjà intéressé au problème dans l'Antiquité !

 

On peut également prendre le parti inverse : supprimer le compas et n'utiliser que des plis, donc que des droites. On développe alors une nouvelle géométrie très différente de la géométrie euclidienne (voir Tangente 146). Décidément, les mathématiques sont une science bien singulière, dans laquelle les disparitions nous rendent beaucoup plus riches. En temps de crise, faites des maths !

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