Conjecturez, conjecturez.... il en restera toujours quelque chose


Jean-Baptiste Hiriart-Urruty

Les conjectures sont d'autant plus célèbres que leurs énoncés sont simples et qu'elles résistent longtemps à l'assaut des mathématiciens. Elles confèrent aux mathématiques un caractère mystérieux et offrent une grande notoriété à leurs « tombeurs », mais surtout à leurs auteurs comme Fermat ou Goldbach.

Conjecture... si on ouvre un dictionnaire quelconque à ce mot, voici la définition qu'on trouve : hypothèse formulée sur l'exactitude ou l'inexactitude d'un énoncé dont on ne connaît pas encore la démonstration. En d'autres termes, c'est une  question ouverte pour laquelle une affirmation a été prononcée : « Oui, je pense que cette assertion est Vraie », ou, ce qui a la même portée logique, « Non, j'ai la conviction que cet énoncé est Faux »

En mathématiques, comme dans d'autres sciences, les conjectures ont toujours joué un rôle de stimulant et de moteur. Chaque domaine des mathématiques a ses conjectures, plus ou moins connues, plus ou moins compréhensibles… Conjecturer est même une démarche qui est encouragée dans l'apprentissage des mathématiques, y compris dans les classes de collèges et lycées.

 

Qu'est-ce qu'une conjecture célèbre ? 

Une affirmation rentre dans le club fermé des conjectures célèbres si elle vérifie les trois propriétés suivantes :

- Être d'énoncé simple, compréhensible par le plus grand nombre de mathématiciens, voire de non mathématiciens. La grande conjecture de Pierre de Fermat, jusqu'à sa démonstration par Andrew Wiles et Richard Taylor en 1994, en était un exemple parfait.

-  Avoir résisté assez longtemps aux assauts des mathématiciens.

-  Avoir engendré de nouvelles mathématiques à travers les différentes tentatives de résolution : d'où le titre conjecturez, conjecturez... il en restera toujours quelque chose.

Quel est le destin d'une conjecture ? Deux possibilités : soit on la démontre et la conjecture devient un théorème, soit on trouve un contre-exemple et la conjecture est réfutée. Si on n'arrive ni à l'une ni à l'autre, on dit que la conjecture tient toujours. Les exemples exposés en encadrés illustrent la genèse d'une conjecture et ce qu'il en advient dans ces différents cas.

L'histoire des mathématiques nous offre de nombreuses conjectures célèbres vérifiant ces différents critères.

En 1845, le mathématicien français Joseph Bertrand postulait qu'entre tout entier supérieur ou égal à deux et son double, il existe au moins un nombre premier. A première vue, cela semble évident ; il en existe en général plusieurs. Ainsi entre 6 et 12, se trouvent 7 et 11. Certes, cette conjecture fut démontrée assez rapidement par Pafnouti Tchebychev en utilisant habilement la formule de Stirling. Pourtant ce que l'on devrait  nommer le théorème de Tchebychev est souvent appelé encore le postulat de Bertrand.

Deux siècles plus tôt, Fermat avait affirmé et cru avoir démontré, que les nombres de la forme Fn = (2)2n + 1, où n désigne un entier, sont tous des nombres premiers. 

Le mathématicien toulousain l'avait vérifié pour F1=5, F2 = 17, F3 = 257 et F4 = 65537. En exhibant le contre-exemple  F5=641 x 6700417, Leonhard Euler a réfuté la conjecture de Fermat.  

Certaines conjectures, d'apparence très simple, restent à démontrer. C'est le cas de celle de Christian Goldbach, énoncée en 1742 dans un courrier à son ami Euler. Il affirme alors que tout nombre pair est la somme de deux nombres premiers. Ainsi, 20 = 7 + 13, 44 = 13 + 31 etc. Personne jusqu'à nos jours n'est parvenu à le démontrer de manière générale alors que la puissance des ordinateurs actuels a permis de vérifier cette assertion pour tous les nombres inférieurs à 4 x 1018.

Une autre conjecture encore ouverte nous est proposée en 1985 par le mathématicien roumain Dorin Andrica.

Désignons par p1, p2, p3,…, pn,… la suite  infinie des nombres premiers rangés par ordre croissant ; ainsi, p1 = 2, p2 = 3, p3 = 5,…, p10 = 29, etc.. Alors, pour tout entier n, pn+1 <1

Comme souvent avec les conjectures sur les nombres premiers, l'énoncé est facile à comprendre mais y répondre est difficile. À ce jour, la conjecture tient toujours, c'est-à-dire qu'on n'a pas trouvé de contre-exemple, même en exploitant la puissance de calcul de plus en plus grande des ordinateurs, mais qu'on ne sait pas la démontrer non plus.

La démarche des scientifiques pour résoudre quelque conjecture célèbre amène à l'esprit l'image de certaines machines à sous de jeux de fêtes foraines ou de casinos, où l'objectif est de faire tomber des pièces de monnaie à partir de présentoirs où elles sont disposées sous verre, à l'aide de quelques mouvements autorisés et commandés de l'extérieur de l'appareil. Lorsqu'on voit cela, la première réaction est de se dire :

« Je vois comment faire, je vais y arriver ». Ainsi, on joue, on insiste, on s'énerve... et on abandonne. La personne suivante a la même réaction : « Il s'y est mal pris, moi je vois comment faire... » ; à son tour, il joue en essayant autre chose, insiste, et finit par abandonner... 

Cependant, plus la conjecture tient, plus elle devient célèbre et lorsqu'elle est enfin résolue, son auteur est assuré d'une grande notoriété comme ce fut le cas d'Andrew Wiles. 

 

 

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références

J.-B.Hiriart-Urruty, Le rôle des conjectures dans l'avancement des mathématiques : tours et détours à l'aide d'exemples. Quadrature, n°83, p. 27-33, 2012.
J.-B.Hiriart-Urruty, Les nombres entiers : des amis qui nous posent des problèmes. Mémoires de l'Académie des Sciences, Inscriptions et Belles-Lettres de Toulouse, Vol. 176, p. 199-210, 2014.