Tao et la discrépance d'Erdös : une conjecture désormais résolue !


Elisabeth Busser

Terence Tao est un grand « poseur de problèmes » de son temps, puisqu'une photo qui a fait le tour du monde le montre, âgé de dix ans, travaillant (déjà !) avec le célèbre mathématicien hongrois.

 

D'Erdös à Tao

On sait maintenant que, devenu médaillé Fields en 2006,  il a, en mathématicien génial,  prolongé les traits de génie d'Erdös en faisant en 2015 la preuve complète de l'une des conjectures que celui-ci avait formulée en 1930 et pour la résolution de laquelle il offrait  dans les années 1950,  une prime de 500$, comme il aimait à le faire. 
 
 
 

La  conjecture de « discrépance d'Erdös »

Quel nom étrange mais c'est ainsi qu'on la nomme…mais de quoi s'agit-il ? Simple à formuler, elle a mis tout de même plus de quatre-vingt ans à être démontrée. Imaginez-vous promeneur dans la nature,  nous dit  le mathématicien anglais James Grime, vidéo à l'appui : à deux pas devant vous, un énorme serpent venimeux barre le chemin, à deux pas derrière vous, un profond ravin dans lequel il vaut mieux ne pas tomber. Sauriez-vous trouver un enchaînement de pas tel que toutes  les suites, par saut de un, deux, trois, quatre pas , etc…vous évitent à la fois la rencontre du serpent et la chute dans le ravin ?  Dit, de manière plus générale,  en termes mathématiques, imaginez une suite infinie  de termes +1 (un pas vers le serpent) et -1 (un pas vers le ravin). Le problème est de construire une telle suite un  de manière que, quels que soient les entiers naturels k et d, on  puisse en extraire une sous-suite finie dont la discrépance, c'est-à-dire la plus grande des sommes ud + u2d + … + ukd  (en faisant des pas de longueur d)  ne dépasse pas n'importe quel nombre C. Pour notre promeneur, on montre que, sur un parcours de 11 pas, il trouve un enchaînement comme + 1, - 1, - 1, + 1, - 1, + 1, + 1 , - 1, - 1, + 1, + 1, où, qu'il saute les pas un par un, deux par deux, trois par trois, etc… la discrépance  reste inférieure à 2, c'est-à-dire qu'il ne tombera jamais ni dans le ravin ni sur le serpent.  Par contre si on ajoute un douzième pas, + 1, la discrépance dépasse 2. On retrouve là la conjecture d'Erdös : on peut toujours construire une suite de +   et de -  dont la discrépance est aussi grande qu'on veut. 

 

Terence Tao n'a pas fini de nous étonner

En 2014 déjà, deux mathématiciens d'origine russe, Boris Konev et Alexei Lisitsa (université de Liverpool), en avaient fourni une preuve numérique tenant en 13 « giga », un peu long ! On pouvait d'après eux faire un parcours de 1160 pas, mais pas 1161 sans tomber dans l'un des deux pièges. Pendant ce temps, la conjecture en question fut dès 2009 intégrée au projet collaboratif Polymath 5. Si en 2012 peu de progrès avaient été faits, la coopération internationale a cependant porté ses fruits puisqu'elle a fait émerger l'idée d'utiliser les suites « multiplicatives » c'est-à-dire telles que u1 = 1 et,  pour m et n premiers entre eux, umn = um × un. Les progrès sont arrivés en 2015, avec l'aide de la  mathématicienne Kaisa Matomaki de l'université de Turku en Finlande et du mathématicien Maksym Radizwill (université Rutgers, USA), qui ont publié avec Terence Tao deux résultats importants, que Tao a pu utiliser pour terminer sa démonstration. Un beau résultat, déposé sur un site en libre accès en septembre 2015,  finalement démontré en moins de 30 pages par Terence Tao lui-même,  largement secondé par un travail collaboratif : voilà comment faire des mathématiques autrement. 
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références

Pour mieux comprendre le problème :
Une explication du projet Polymath 4
La vidéo de James Grime :