
De la comptabilité à la perspective
Luca Pacioli (1447–1517), tableau de Jacopo di Barberino.
Luca Pacioli est un moine franciscain pétri de savoir mathématique. Après des études à Rome, où il rencontre Léon Alberti, il se rend à Venise. Pour subvenir à ses besoins, il devient le précepteur des trois fils d’un riche marchand ; c’est alors qu’il met au point un système de comptabilité qui fait de lui l’un des précurseurs de cette discipline. Bien que devenu moine en 1476, il sillonne l’Italie avant de s’installer à Milan en 1496. Il y rencontre Léonard de Vinci, qui comprend à son contact comment améliorer ses techniques picturales ou exercer la fonction d’ingénieur.Très influencé par l’œuvre de Léonard de Pise (dit Fibonacci, 1175–1250), Pacioli s’intéresse à l’arithmétique et à des résolutions d’équations. Il propose des simplifications d’écritures et encourage l’emploi des chiffres arabes, encore rarement utilisés à l’époque.
Son intérêt pour la géométrie lui vient de son maître, Piero della Francesca, qu’il surnommait « le Monarque de la peinture » et qui l’avait initié à la perspective. La rencontre avec Léonard de Vinci l’encourage à expliquer mathématiquement la théorie de la perspective.
Sur la fin de sa vie, Pacioli se passionne pour les Éléments d’Euclide, dont il publie une traduction en latin en 1509. Avec Luca Pacioli, la perspective et la comptabilité entrent dans le domaine des mathématiques.
La règle des 72
Un moyen élémentaire pour approximer le nombre d’années nécessaires pour obtenir le doublement d’un capital placé en intérêts composés est de diviser 72 par le taux d’intérêt. Par exemple, avec un taux de 3 %, il faudra 72 / 3 = 24 ans pour obtenir le doublement du capital ; avec un taux à 8 %, il suffira de neuf ans. Cette méthode est évidemment approximative mais l’erreur est faible pour des taux supérieurs à 3 %. En outre, 72 a l’avantage de posséder de très nombreux diviseurs, ce qui permet d’avoir des résultats en nombre entier d’années dans de nombreux cas.
D’où vient cette propriété ? Si l’on nomme t le taux d’intérêt (t = 0,05 si le taux est de 5 %), le doublement du capital se produit pour n années, où n est solution de l’équation
(1+t )n = 2. En prenant le logarithme népérien ln, on obtient n ln(1+t) = ln(2), soit n = ln(2) / ln(1+t ), qu’il faut comparer à 72 / t . Avec un développement limité, on aboutit à
n = ln(2) / t (1 – t /2 + o(t )), soit (ln 2 (1/ t + 1/2 + o(1)).
En posant T = 100 t , on obtient n « proche » de 100 ln(2)/T + ln(2)/2, soit 69,31/T + ln(2)/2, ou encore 72/T – 2,69/T + 0,35. Pour T compris entre 7 et 8, 2,69/T est « très proche » de 0,35.
On obtient en fait la meilleure approximation pour T = 7,85. Pour T = 3, le capital se multiplie par 2,03 en vingt-quatre ans ; pour T = 8, par 1,9990046 en neuf ans ; pour T=12, par 1,97 en six ans ; pour T = 18, par 1,94 en quatre ans. Pour l’époque, ces approximations étaient parfaitement recevables.
Un auteur prolixe
Le premier ouvrage de Pacioli, intitulé Summa de arithmetica, geometria, de proportioni et de proportionalita, fut publié en 1494. Le savant italien y expose toutes les connaissances mathématiques de l’époque. Cependant, son apport personnel concerne surtout la comptabilité : on y trouve la méthode vénitienne, plus connue sous le nom de comptabilité en partie double, et la règle des 72.
Dans un manuscrit conservé à Bologne sous le nom de De viribus quantitatis, il présente, un siècle avant Bachet de Méziriac, des problèmes amusants à résoudre. Cet ouvrage n’a été publié qu’en 1987 ! Cependant, l’ouvrage qui l’a rendu célèbre est, sans conteste, De divina proportione, dans lequel Pacioli décrit la théorie géométrique de la perspective (voir Mathématiques et Architecture, Bibliothèque Tangente 60, 2017). La motivation lui vient certainement de Léonard puisque la rédaction débute l’année même de leur rencontre. Le texte est accompagné de remarquables planches réalisées par ce dernier (voir article "Un patron des polyèdres !").
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