
Les mathématiques ne sont pas tristes, alors pourquoi les enseigner tristes ? « Faire des jeux mathématiques en classe, cela ne fait pas sérieux » disent certains. Et alors ? Il n’est pas nécessaire d’être triste pour être pédagogiquement efficace (au contraire !). Ce sont les élèves qu’il faut gagner aux mécanismes des mathématiques. Les parents seront convaincus par la réussite de ce procédé auprès de leur enfant.
Jeu et pédagogie : les grands principes
Mais attention, l’introduction du jeu dans la pédagogie nécessite de respecter quelques grands principes. Le premier d’entre eux : le jeu ne s’impose pas aux élèves, ou alors, ce n’est plus du jeu. Il faut leur donner envie de jouer, en favorisant la création d’un espace intermédiaire entre le réel et l’imaginaire, où ils apprendront à prendre des risques, à tenter leur chance, à élaborer des stratégies, à les décrire, en un mot, à exister.
Le jeu ne s’impose pas davantage aux professeurs. Il faut les convaincre que leur tâche s’en trouvera facilitée s’ils y ont recours, sans leur cacher les difficultés inhérentes à une pratique différente : faire face à une situation imprévue, savoir expliquer autrement, accepter de chercher devant son auditoire, apprendre à se taire aussi ou au contraire à créer un dialogue.
Et, bien sûr, le jeu ne peut être le seul ressort de l’enseignement. Il doit en faire partie, mais la proportion va dépendre à la fois des élèves et des enseignants, du niveau, et bien sûr de toutes les contraintes scolaires (programmes, plages horaires, examens). On peut par exemple préserver des moments pour des explorations libres, seul ou en groupe, des périodes de tâtonnements sur des problèmes ouverts. On peut aussi exiger des élèves des narrations de recherche, où ils décriraient leur démarche, et où les autres critiqueraient le parcours de leurs camarades. On peut essayer de faire changer les règles du jeu, en examinant l’incidence du changement sur la solution. Arrêter de jouer ou de chercher pour réfléchir sur le jeu est une étape indispensable à l’institutionnalisation des savoirs et à l’émergence d’autres perspectives.
Enfin, le jeu doit savoir sortir de l’école, faute de quoi il deviendrait vite une obligation (donc ennuyeuse aux yeux des élèves). Les enseignants utiliseront pour cela une panoplie des jeux à faire chez soi, mettant à contribution l’environnement, les parents, s’impliqueront dans la création de clubs de jeux, inciteront les élèves à participer aux compétitions mathématiques, encourageront le montage ou la visite d’expositions à thème mathématique ludique, ou permettront la lecture d’articles de revues ou journaux autour des jeux…
Le rôle du jeu en cours de maths
On ne s’en doute pas forcément : le jeu peut avoir de nombreux rôles dans la pédagogie. Sur le plan des connaissances, l’essentiel du programme peut être balayé. Voilà qui est paradoxal, les jeux mathématiques semblant ne requérir qu’un minimum de connaissances scolaires. Les exemples qui vont illustrer cette remarque figurent en encadrés : à travers des problèmes essentiellement issus de compétitions, il y est examiné comment plusieurs grandes branches des mathématiques peuvent être abordées.
Même si, pour conserver l’aspect ludique d’un problème, on n’exige pas de démonstration, la recherche va plonger l’élève dans l’univers du raisonnement aussi efficacement qu’une démonstration. Mieux ! Lorsque dans certains problèmes, comme ceux du Championnat international des jeux mathématiques, on exige le nombre de solutions. La recherche d’exhaustivité vaut autant sinon plus qu’une démonstration.
Le paradoxe est un procédé ludique qui est très efficace dans la lutte contre l’erreur. Quoi de plus marquant pour l’esprit que de constater que son erreur a débouché sur un résultat aberrant ou paradoxal ? Les jeux mathématiques sont aussi très efficaces pour lutter contre les fausses hypothèses implicites qui bloquent la démarche de raisonnement des élèves.
La représentation visuelle des notions est la clé de la compréhension des phénomènes. Le jeu, par son côté imagé, par les activités pratiques qu’il entraîne, conduit l’élève à s’approprier le problème, à se confectionner une image mentale, garante de la compréhension. Un jeu n’est pas la reproduction sans comprendre d’un exercice déjà vu, il exclut le bachotage ou l’appel à la simple mémoire, qui font tant de mal à la pédagogie.
Tout est dit… mais attention ! Le climat ludique ne se décrète pas, il s’introduit « sur la pointe des pieds », par petites touches, en évitant aux élèves et à leurs parents d’être déstabilisés. L’enseignant impliqué dans cette approche devra convaincre les uns et les autres de l’efficacité de cette pratique, l’ancrer dans les habitudes scolaires en incitant par exemple les élèves à participer nombreux aux compétitions mathématiques, en informant les collègues de l’actualité des jeux mathématiques, des recueils de problèmes, des revues mathématiques existantes.
Gardons à l’esprit que si certains élèves ou enseignants sont réticents, ils ont leurs raisons, qui sont respectables. Le résultat, s’il est profitable pour une expérience bien menée, peut dans d’autres cas s’avérer décourageant. L’expérience du jeu mathématique en classe ne peut donc être profitable que si elle est intelligemment menée, avec un savant dosage mêlant pratiques traditionnelles et activités ludiques.
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