La base 60 dicte encore notre emploi du temps


Bertrand Hauchecorne

Les révolutionnaires ont instauré le système décimal dans le domaine des poids et des mesures et, malgré quelques récalcitrants Anglo-Saxons, ceci s'est imposé sur toute la planète. Pourtant, les bases 12 et 60 survivent encore, comme pour mesurer les angles ou l'écoulement du temps...

immense majorité des langues utilise la base 10 pour nommer les nombres. Ainsi, en français, « dix-sept » correspond à 10 + 7 et « deux cent vingt-trois » à 2  100 + 20 + 3. Il est probable que ceci soit dû à nos dix doigts, utilisés par nos ancêtres pour calculer. Choisir une unité et une sous-unité en rapport décimal possède l’immense avantage de permettre de traduire immédiatement une information en changeant d’unité. De la sorte, onze kilomètres correspondent à onze mille mètres. En revanche, convertir en kilomètres-heure sa vitesse lorsqu’on a parcouru trente-sept kilomètres en quarante-huit minutes est plus difficile. Il faut multiplier le quotient 37 / 48 par 60 pour obtenir 46,26 km/h.

Pourquoi 60 ? Évidemment parce qu’une heure contient soixante minutes. Cet usage nous vient de l’Antiquité, en particulier des Sumériens puis des Babyloniens (voir En bref : "Vous avez dit 60..."), mais on le retrouve également dans les civilisations chinoises et indiennes bien avant notre ère.


Pourquoi 12 et 60

Le choix du nombre 10 provient de notre anatomie. Son inconvénient est de ne pas être un multiple de 3 ; en conséquence, les divisions par cet entier produisent des résultats peu pratiques en écriture décimale. En revanche, 12 est divisible par 2, 3 et 4, et 60 est un multiple de 10 comme de 12.

L’utilisation de 12 est ancienne : l’once, unité de poids romaine, correspondait au douzième d’une livre ; elle reste vivace : n’achetons-nous pas couramment une douzaine d’œufs ou d’huitres ? Les unités britanniques sont elles aussi friandes de ce nombre ; un pied par exemple correspond à douze pouces. Si nous avions choisi la base 12, la fraction 1/3 s’écrirait 0,4 (soit bien plus simplement que 0,333…). En contrepartie, l’écriture de 1/5 serait moins pratique et se noterait 0,24972497… car 5 ne divise pas 12. Le développement est périodique, comme pour toute fraction, mais diviser par 5 est moins courant que par 3.

En base 60, les deux fractions ont des développements avec « un seul terme après la virgule » ; l’inconvénient est qu’il faudrait soixante symboles pour noter les nombres !

C’est cette raison qui justifie l’introduction de systèmes peu homogènes pour mesurer les angles ou le temps. Lorsqu’on énonce la mesure d’un angle en degrés, minutes et secondes, on ne l’envisage pas en général comme un nombre ; on considère qu’il s’agit de trois nombres associés à trois unités différentes et assemblés pour désigner cette mesure. Pourtant, c’est bien un nombre exprimé en base 60 : la mesure de l’angle de 7 degrés 15 minutes et 24 secondes (noté 7° 15’ 24’’) correspond au nombre 7,ab en base soixante où a et b sont les symboles représentant les chiffres « 15 » et « 24 ». Il serait bien sûr fastidieux de disposer de soixante symboles uniquement à cet usage ! C’est ainsi que nous aboutissons à un système bâtard, dans lequel, faute de disposer de soixante symboles comme le a et le b de notre exemple, ceux-ci sont remplacés par l’écriture en base 10 du nombre qu’ils représentent (dans l’exemple, 15 pour a et 24 pour b). Au XIX e siècle, les quantités correspondant à de tels nombres s’exprimant à l’aide de deux ou plusieurs composantes, comme la mesure des angles, s’appelaient des nombres complexes : ce terme ne s’est maintenu que dans un seul cas, paraît-il à l’initiative de Carl Friedrich Gauss.

La question se pose de savoir pourquoi ne pas avoir été jusqu’au bout de la logique sexagésimale et de ne pas avoir partagé le quart de cercle en soixante (au lieu de quatre-vingt-dix) parties. Certes, le rapport de 3/2 entre les deux est facile à retenir et à manier, et on aurait pu opérer toutes les divisions simples d’angles : un angle droit mesurerait soixante degrés, les angles d’un triangle équilatéral égaleraient quarante degrés. Sans doute la durée de l’année, proche de trois cent soixante jours, en est l’origine.

grade, centième de l’angle droit. Cette unité n’a pas réussi à s’imposer. Personne ne semblait y trouver de simplification ; au contraire, avec eux, les angles du triangle équilatéral valent 66,666… grades. En degré, les angles des polygones réguliers convexes s’expriment simplement, même ceux du pentagone avec ses 108° !

Les latitudes et les longitudes s’expriment elles aussi en degrés puisqu’elles dénotent des angles. La rotation de la Terre correspondant à un jour, vingt-quatre fuseaux horaires ont été définis, correspondant chacun à quinze degrés de longitude.


La mesure du temps

Le partage du jour en vingt-quatre heures, soit deux fois douze heures, date également de l’Antiquité. Un lien étroit existe avec la notion d’angle puisque le jour correspond environ à un tour de la Terre sur elle-même. Il est plus facile de couper un gâteau en douze qu’en dix parts égales. Pour le partage de l’horloge en douze heures, c’est de même plus aisé à lire.

Pour les sous-unités, l’expression d’une durée en heures, minutes et secondes correspond exactement à un nombre exprimé en base 60, le nombre d’heures étant la partie entière. Autrefois, nous avions même la tierce, soixantième de la seconde. L’unité était à l’époque symbolique car rares étaient les instruments de mesure du temps assez précis ! De nos jours, on préfère diviser la seconde en dixièmes, en centièmes et même en millièmes, montrant que nous sommes bel et bien formatés à la base 10. On aboutit ainsi à une expression du temps en trois bases différentes : 12 pour les heures, 60 pour les minutes et les secondes, et 10 pour les divisions de la seconde. On pourrait rêver plus simple…

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