Comme l'affirme David Hilbert dans une phrase devenue célèbre, attribuer un nom à un objet mathématique est artificiel. En revanche, identifier un objet à son image par une bijection de telle sorte que ses propriétés soient mises en valeur peut être décisif.

 

On considère l'ensemble EV des habitants d'un village V et celui F de tous les noms possibles et imaginables. Il est clair qu'à chaque personne, en particulier si elle habite V, on peut associer son nom. On vient ainsi de mettre en évidence une application f , de EV dans F : f : EV  \( \mapsto\)  F. À chaque élément de EV, c'est-à-dire chaque habitant de V, elle associe une « image », le nom de cet habitant.

Il y a peut-être des homonymes dans le village V. Si deux personnes portent le même nom, c'est que l'application f n'est pas injective, puisque deux éléments de l'ensemble de départ ont la même image.

 

De l'injection à l'inclusion

En revanche, si tous les habitants de V ont des noms différents, l'application est dite injective. On peut alors appeler chaque habitant par son nom sans risquer de se tromper ! De là à considérer que les habitants de V ne sont que des noms, il n'y a qu'un pas, qu'il est facile de franchir. Et si, au lieu de leur donner des noms, on affectait aux habitants de V des numéros, ils seraient en droit de s'exclamer, comme Patrick Mac Goohan, numéro 6 du village où il était enfermé dans le Prisonnier, la fameuse série TV des années 1960 : « Je ne suis pas un numéro, je suis un homme ! »

 

« Je ne suis pas un numéro, je suis un homme libre ! »

 

Pourtant, mathématiquement, en l'absence d'homonymes, il n'y a pas de différence entre les habitants de V, leur nom ou leur numéro si V est le fameux village de la série. Le village peut alors être considéré comme une simple partie – un sous-ensemble – de l'ensemble F des noms (ou des numéros).

Lorsqu'en guise de nom on donne des suites de lettres et de chiffres (c'est le cas par exemple des voitures), on s'arrange en particulier pour que les immatriculations soient toutes différentes. Rien n'empêche alors cette identification d'un ensemble au sous-ensemble de F formé des noms pris, que l'on appelle l'image de l'application f et que l'on note Im ( f ). Une injection de E dans F s'apparente alors à une inclusion dans F !

Mais quel est l'intérêt de cette identification ? Dans l'absolu, il n'y en a pas. En pratique, cela permet parfois d'avoir accès à des propriétés du nouvel ensemble que l'on n'avait pas forcément identifiées dans l'ensemble initial. En d'autres termes, de mettre en évidence des analogies qui vont permettre de mieux comprendre les relations internes de l'ensemble et, par exemple, d'en déduire des résultats qui, autrement, ne seraient pas évidents.

Par exemple, si, en guise de nom, on donnait aux éléments d'un ensemble E des numéros entiers, en débutant à 1, et sans trou, le plus grand élément de l'image donnerait… le cardinal de E, son nombre d'éléments, dans le cas où E est un ensemble fini, bien sûr. Si en revanche il est infini, on peut, de l'existence de cette injection, conclure à la dénombrabilité de E (voir pages 46 à 48). Et si on peut montrer qu'une telle injection n'existe pas, on en déduit au contraire le caractère non dénombrable de cet ensemble.

 

De la bijection à l'identification

Dire qu'une application f d'un ensemble E dans un ensemble F est bijective, c'est dire qu'elle est injective et surjective, ce qui signifie que tout élément de F est l'image d'exactement un élément de E. Ainsi, non seulement il est possible d'associer à tout élément x de E son image f(x) dans F, mais réciproquement tout élément y de F est l'image d'un unique élément de E, noté f –1(y). On a ainsi mis en valeur une application f –1 de F dans E, appelée application réciproque de f .

En composant f et f –1, dans un sens ou l'autre, on trouve l'identité (selon le cas de E, IdE, ou de F, IdF), c'est-à-dire l'application qui à un élément associe lui-même. Réciproquement, toute application f possédant une réciproque (application g telle que g o f = IdE et f o g = IdF) est bijective.

La tendance est alors forte de considérer qu'une bijection est, au nom près, la trace d'une identification. Dès lors qu'une bijection de E sur F existe, on pourra, si besoin, identifier les deux ensembles, un élément de E étant identifié à son image par f. On peut en tirer là encore des résultats de cardinalité : deux ensembles finis en bijection ont même nombre d'éléments. Et s'ils sont infinis, ils ont le même ordre d'infini.

Un exemple simple mais toujours surprenant est la construction d'une bijection (x  \( \mapsto\)  2x) entre l'ensemble des nombres entiers positifs et l'ensemble des nombres pairs, qui est pourtant inclus dans le premier !

Il n'est d'ailleurs pas nécessaire d'exhiber une bijection pour prouver son existence. Ainsi, le théorème de Cantor-Bernstein indique que s'il existe une injection de E dans F et une injection de F dans E, alors il existe une bijection de E sur F.

 

Les merveilles de l'isomorphisme 

Si l'identification d'un ensemble et d'un autre via une simple bijection peut sembler parfois quelque peu artificielle, elle prend tout son sens quand l'application conserve des résultats structurels, liés en particulier aux opérations (l'application est alors appelée morphisme, isomorphisme quand elle est bijective). Un exemple est l'application exponentielle, de  \( \mathbb{R}\) dans \( \mathbb{R}^{+*}\) , bijection qui transforme une somme en produit : ex+y = ex × ey. On en déduit que toutes les propriétés additives de \( \mathbb{R}\) (propriétés de groupes) se transportent aux propriétés multiplicatives de \( \mathbb{R}^{+*}\) .

De la même façon, les applications linéaires bijectives, qui sont des isomorphismes d'espaces vectoriel, sont aptes à identifier les structures de départ et d'arrivée.

D'autres exemples de transports de propriétés sont frappants, dans la mesure où ils s'appliquent après un aller-retour entre des structures reliées par un morphisme. Ainsi, la notion de bijection ouverte par la théorie des ensembles est loin de se réduire à la vérification de quelques propriétés. Elle s'avère porteuse de visions inattendues d'un certain nombre de notions mathématiques et ouvre en conséquence de nouveaux horizons.

 

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