Fascinants nombres premiers


Élisabeth Busser

Un point sur les derniers théorèmes à propos des nombres premiers qui inspirent toujours autant

Un monstre à 22 338 618 chiffres

Nous avions déjà eu une belle surprise dans l'ensemble des nombres premiers, qui semblent avoir des préférences « bien définies sur les dernières décimales des nombres premiers qui les suivent ». Voilà maintenant qu'une nouvelle planète vient d'être découverte dans cet univers feutré : le nombre 274 207 281 – 1 est premier. C'est un nombre premier de Mersenne (c'est-à-dire de la forme 2p – 1, pour lesquels on connaît un test de primalité effi cace). La découverte de ce monstre de 22 338 618 chiffres est due à Curtis Cooper et son équipe. Ce mathématicien américain, professeur à l'université du Missouri central, n'en est pas à son coup d'essai puisqu'il avait auparavant débusqué trois autres nombres premiers de Mersenne, entre 2005 et 2013. En fait, il a installé le logiciel du Great Internet Mersenne Prime Search (GIMPS) sur les ordinateurs de son université, et c'est ce système collaboratif qui l'a aidé dans ses quatre découvertes.

 

Les jumeaux :toujours des surprises !

Dans Tangente 153, nous en étions restés à deux conjectures d'importance, démontrées toutes deux le même jour, le 14 mai 2013. D'une part, une conjecture faible des nombres premiers jumeauxil existe un entier N inférieur à 70 000 000 et une infinité de nombres premiers p tels que l'intervalle ]p, p + N] contienne un nombre premier ») fut démontrée par Yitang Zhang, de l'université du New Hampshire. D'autre part, la conjecture faible de Goldbach (« tout nombre entier supérieur à 7 peut s'écrire comme la somme de trois nombres premiers ») fut prouvée par Harald Helfgott, de l'École normale supérieure de Paris. Deux versions, même « faibles », de conjectures célèbres démontrées, ne boudons pas notre plaisir ! On a progressé depuis, car non seulement, sous l'impulsion de Terence Tao, médaille Fields 2006, l'équipe collaborative du projet Polymath 8, développant les techniques de Zhanget simplifiant même sa preuve, a pu abaisser la valeur de N à 4 680, mais le jeune mathématicien britannique James Maynard (universités de Montréal et d' Oxford) la fit descendre à 600 en novembre 2013. À quand N = 2 ? La conjecture des nombres premiers jumeaux serait alors démontrée ! 

 

Petits et grands écarts : encore des progrès

 

 

À lʼopposé de la recherche de nombres premiers sur de petits intervalles, une autre équipe, toujours avec Terence Tao, mais aussi Kevin Ford (université de lʼIllinois), Ben Green (université dʼOxford) et Sergei Konyagin (université de Moscou), a mené une recherche sur les grands intervalles entre les nème et (n + 1)ème nombres premiers consécutifs, Pn et Pn+1. Tout se passe comme si on recherchait de longues chaînes de nombres composés consécutifs – comme par exemple n!+2, n!+3, ..., n!+n qui rentreraient dans lʼintervalle ] PnPn+1[. Les quatre mathématiciens ont donc démontré, en août 2014, que la distance G(X)=pn+1 – pn entre deux nombres premiers consécutifs issus de lʼensemble {1, 2… X}, pour X aussi grand quʼon veut, était telle que (dans ces estimations asymptotiques, log désigne un logarithme de base quelconque, par exemple le logarithme népérien ln) : 

\( G(X)\geq c \frac{(\log \log X)(\log\log\log\log X)}{(\log \log \log X)^2} \times \log X\)

pour c > 0 aussi grand que lʼon veut.

Dernière avancée en date, en novembre dernier, Kevin Ford,James Maynard et Terence Tao rédigent un papier concernant lʼécart maximum entre k nombres premiers consécutifs inférieurs à un certain nombre X. Notons Gk (X) cet écart, défini par : 

\( G_k(X)=\max_{p_{n+k}\leq X}\min (p_{n+1}-p_n, p_{n+2}-p_{n+1}, \ldots, p_{n+k}-p_{n+k-1}).\)

Alors

\( G_1(X)\geq \frac{(\log X)(\log \log X)(\log\log\log\log X)}{(\log \log \log X)}\)

pour X assez grand, et :

\( G_k(X)\geq \frac{1}{k^2} \frac{(\log X)(\log \log X)(\log\log\log\log X)}{(\log \log \log X)}\)

 pour tout k fixé et tout X assez grand.

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