La sémantique mathématique et la sémantique astrologique


Daniel Justens

Les conseils des horoscopes peuvent sembler sensés. Comment l'expliquer ? Si les conseils en domaines objectifs ne proposent que des tautologies, les conseils subjectifs vont se fondre dans la pluralité des sens pour être toujours interprétables dans la direction souhaitée par le client.

 Le succès jamais démenti des horoscopes dans bon nombre de journaux, sur les chaînes de télévision et à la radio doit avoir des raisons. Si personne ne se reconnaissait dans les descriptions de caractère avancées par les médiums, si leurs prévisions événementielles ne se vérifiaient pas régulièrement, il y a longtemps que ces rubriques auraient disparu. Y aurait-il une base objective à l'astrologie ? Ne faisons pas cas du fatras astronomicoastrologique qui se répand dans bon nombre de prédictions (oui ou non Mars, Vénus ou Jupiter influencent-elles éventuellement et de manière non contrôlable nos vies). Pour comprendre le succès étonnant des prédictions astrologiques, il suffit de se limiter au vocabulaire spécifique utilisé, à la seule sémantique, à la seule grammaire. Pour prendre conscience de la réalité du contenu des horoscopes et de leurs supports lexicaux, rien de tel que leur lecture assidue et régulière. La mise en parallèle des allégations des voyant(e)s, tous signes astraux confondus et pour toute période, permet de mettre en évidence des règles générales sémantiques aux qualités exceptionnelles.

 

Table, chaise et bock de bière

Déjà, qu'en est-il de la sémantique… mathématique ? Selon certains mathématiciens, les concepts mathématiques sont introduits par des définitions rigoureuses qui reposent sur un système axiomatique : ils sont indépendants des mots qui les désignent. Mais est-ce vraiment le cas ? On attribue généralement à Hilbert le propos selon lequel on pourrait, en géométrie, remplacer « point, droite et plan » par « table, chaise et bock de bière ». Force est de constater qu'il ne l'a pas fait. Pour les notions de « point », de « droite » ou de « plan », des liens étroits unissent les concepts intuitifs, usuels aux définitions rigoureuses des mathématiciens. Si les raisonnements s'intègrent dans un cadre axiomatique rigoureux, et conduisent à l'établissement de propositions vraies (théorèmes) ou fausses (contre-exemples), leurs présentations font usage régulier du langage courant, le tout conduisant parfois à une métacompréhension, voire à une sous-compréhension. Ainsi, le domaine mathématique n'est pas exempt de zones d'ombre. Qu'en est-il de l'astrologie ?

Référons-nous scrupuleusement à l'horoscope hebdomadaire des versions en ligne du Figaro Madame de janvier et février 2016 (http://madame.lefigaro.fr/astro). Une étude exhaustive met en évidence des tendances. Ces horoscopes divisent leurs champs d'investigations prédicatrices pour proposer des conseils avisés et ciblés dans les rubriques « amour », « travail », « santé », « finance ». La diversité des thèmes engendre évidemment des variations lexicales. Le thème de l'argent couvre un champ objectif et donc susceptible d'invalidation. Mais les conseils financiers ont-ils un contenu véritable ? À leur lecture, on peut en douter. Non seulement les propositions avancées sont autant de portes ouvertes enfoncées, mais aucune action précise ne peut en découler pour le lecteur. Voici quelques exemples de propositions parmi d'autres équivalentes : « Évitez les transactions à caractère spéculatif » ou « Évitez les dépenses inconsidérées ». Qui oserait conseiller le contraire ? Voici aussi des mises en garde : « Sur le plan financier, la prudence s'imposera », « Songez à faire des économies », « Si vous êtes prudent, vous ferez fructifier vos ressources », ou encore « Effectuez des placements sûrs qui consolideront votre avenir matériel ». Le champ financier ne comporte donc que des truismes. Quels que soient les investissements des lecteurs assidus du magazine, et surtout quelles qu'en soient les conséquences, une seule conclusion s'imposera à l'adepte : le mage avait raison ! 

Examinons le champ totalement opposé de l'amour. Là, les conseils prodigués empruntent plusieurs voies. La première est, comme plus haut, celle des truismes, celle des propositions toujours vraies ou tellement évidentes qu'elles ne doivent pas être démontrées. En logique propositionnelle, on leur attribuera la valeur « 1 ». C'est le cas de « Il conviendra de surveiller ses propos afin de ne rien dire de blessant ou de provocant » ou encore de « Il faudra veiller à bannir de vous-même toute pulsion agressive et toute intention belliqueuse ». L'usage du futur simple permet de projeter les évènements dans un avenir certain. Le futur est parfois remplacé par le conditionnel : « Vous feriez bien de jouer cartes sur table avec votre conjoint. » L'impératif, plus comminatoire, ne s'utilise que pour de plus amples évidences encore : « Laissez les choses se décanter »« Tâchez de vous contrôler ! ». Lorsque l'on quitte le domaine des évidences, l'emploi du conditionnel devient une façon de « randomiser » les évènements en tempérant l'éventualité de leur non-réalisation, sans peur des formules ampoulées et grandiloquentes : « Les grands rêves d'amour que Vénus suscitera en vous pourraient se briser sur l'écueil de la réalité. » Cette façon de faire est compatible avec l'usage du futur : « Les flirts pourront donner  lieu à des relations très profondes. » Remarquez l'usage régulier du verbe « pouvoir », qui contient une charge d'indécision.

Un autre champ lexical permet de scinder l'ensemble des lecteurs en deux populations : celle pour laquelle la prédiction va se réaliser et la population complémentaire. Ainsi : « Nombre d'entre vous éprouveront quelques difficultés à maintenir une bonne entente avec leur partenaire amoureux »« Chez certains d'entre vous, l'occasion fera le larron ». Le recours au vocabulaire probabiliste est parfois carrément explicite : « Il n'y aura donc probablement pas de mariage dans l'air ! », « Les célibataires auront de fortes chances de rencontrer le partenaire idéal ». Mais il peut se montrer plus sournois : « Il vous sera difficile de découvrir l'âme soeur », « Les passions se transformeront parfois en solides amitiés ».

Tant qu'on a la santé…

La rubrique mixte « santé » conjugue une part de réalité et de subjectivité. Les conseils prodigués comportent-ils des éléments susceptibles d'être validés ou non ? On en jugera par l'échantillon qui suit : « Évitez les excès de table », « Pratiquez les sports avec modération » et autres « Ne surestimez pas pour autant vos capacités physiques » ou « Soyez raisonnable ». Le domaine est cependant délicat et tout conseil trop précis pourrait se retourner contre celui ou celle qui l'a prodigué. Dans ce domaine connexe à la médecine, la tendance est aux généralités, non aux affirmations péremptoires ! La dernière rubrique présentée est celle du travail. Les mêmes observations peuvent être faites quant à l'utilisation du futur possible ou du conditionnel : « On vous fera sans doute des propositions de travail très intéressantes, conformes à vos ambitions » ou « Le climat lunaire de la période devrait vous rendre efficace dans votre travail ». Ce champ particulier offre néanmoins de nouvelles découvertes, comme la prise en compte d'une population concernée tellement réduite que les possibilités d'invalidation sont infimes : « Si vous avez écrit un roman ou compilé un recueil de poèmes, ce sera le moment de le proposer à un éditeur. » 

Certains conseils vont sans doute modifier le comportement de l'amateur d'horoscopes et peuvent se réaliser par voie de conséquence : « Sous l'impulsion de Mars, vous travaillerez comme un forcené. » Lorsque la prédiction se réalise, au crédit de qui est-elle à mettre ? 

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