
Une séance de calcul chez le dentiste
Selon Christophe, auteur de l'inénarrable ouvrage l'Idée fixe du savant Cosinus, Cosinus, alias Pancrace Eusèbe Zéphyrin Brioché, sortait de l'École Polytechnique, la meilleure du monde. « Chaque École est la meilleure du monde pour ceux qui en sont sortis » notait l'auteur du livre, lui-même sorti de l'École Normale Supérieure. Zéphirin était professeur de mathématiques à l'École des Tabacs et Télégraphes, et distrait notoire : lors de ses cours, il prenait son mouchoir pour son chiffon à craie… « Et réciproquement », ajoute l'auteur, amoureux de pléonasme mathématique.
Le héros de Christophe se réveille un jour avec une douleur lancinante dans la moitié droite de la mâchoire inférieure et prend rendez-vous chez le dentiste Max Hilaire. Dans le salon d'attente, Cosinus rencontre Madame Belazor, qui doit se faire extraire une racine, et notre mathématicien, oubliant qu'il est chez le dentiste, se croit chez lui et se propose de soigner la dame en extrayant la racine avec des tables de logarithmes. L'affaire se terminera mal pour le dentiste : Madame Belazor s'étant enfuie et ayant déclaré que Max Hilaire était fou, la police vient arrêter ce dernier pour l'enfermer dans un asile. Notre pauvre dentiste, camisolé de force, devient effectivement dément et se propose de soigner la Dent du Midi en utilisant pour le plombage, le Plomb du Cantal…
La distraction de Poincaré
Quel était le modèle du savant Cosinus ? Selon Laurent Schwartz, gentleman mathématicien (voir Tangente 165), c'était son propre grand-oncle, Jacques Hadamard. Selon François Caradec, le biographe de Christophe, c'était Henri Poincaré. André-Marie Ampère, lui-même mathématicien et extrêmement distrait, est également souvent évoqué. Peut-être un mélange ?
Penchons pour Poincaré (voir Tangente SUP 67–68), qui habitait l'appartement juste en dessous de celui de Christophe, rue Claude-Bernard à Paris. Henri Poincaré « pensait à table, raconte son beau-frère le philosophe Émile Boutroux, dans les réunions de famille, dans les salons même, s'interrompant souvent brusquement au milieu d'une conversation et plantant là son interlocuteur pour suivre au passage une pensée qui lui traversait l'esprit ». Il lui arriva ainsi, au cours d'une visite qu'il effectuait pour son entrée à l'Académie, de se croire chez lui et de montrer son impatience devant un interlocuteur qu'il était venu solliciter, car celui-ci ne quittait pas la pièce que Poincaré prenait pour… son bureau. Comme Cosinus !
Christophe : maths, sciences et botanique
Georges Colomb (1856–1945), auteur sous le pseudonyme malicieux de Christophe, du Savant Cosinus et d'autres bandes dessinées qui eurent leurs heures de gloire, était professeur de sciences naturelles et de botanique. Il écrivit de nombreux manuels scolaires sous son vrai nom. Il eut pour tapir (élève en cours particulier) le romancier Tristan Bernard et, s'il ne lui a pas appris beaucoup de mathématiques, il en a retiré de belles leçons d'humour. Tristan Bernard, qui détestait les sciences, se fait remplacer (afin que Christophe puisse continuer à dispenser des cours particuliers et toucher quelque rétribution), par un sien cousin… qui deviend ingénieur grâce à l'enseignement de Georges Colomb et au désistement pratique et généreux de Tristan !
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