
La petite tablette d'argile YBC7289 (pour Yale Babylonian Collection) tient dans la main. Elle est datée entre 1900 et 1600 avant notre ère. À sa surface figure un carré avec ses deux diagonales et quelques signes cunéiformes, dont la transcription signifie que si le côté du carré vaut 30 unités alors la diagonale vaut 42,4263889 unités. Ce qui donne une approximation de
Premières constructions géométriques
Comment les Babyloniens procédaient-ils ? Sans doute effectuaient-ils deux passes de la méthode de Héron (qui sera détaillée plus loin). Malheureusement, les exemples de calculs grecs de racines carrées sont rares dans la littérature antique qui nous est parvenue. L'un des seuls exemples connus nous est rapporté par Théon d'Alexandrie (alias Théon le Mathématicien, le père d'Hypatie), qui vivait au IVe siècle de notre ère. Cet exemple se trouve dans ses commentaires écrits vers 372 sur l'Almageste (la « syntaxe mathématique ») de Ptolémée. Ce dernier donne pour approximation de
Théon résume ensuite son calcul en décrivant un algorithme général. Celui-ci est basé sur la Proposition 4 du Livre II des Éléments d'Euclide, qui s'écrit en langage moderne : (x+y)2=x2+2xy+y2, une identité remarquable bien connue des lycéens !
Si x est « suffisamment proche » de y, alors y2 peut être négligé et
En choisissant y astucieusement, on peut itérer le procédé jusqu'à trouver une approximation convenable.
De la formule à la méthode de Héron
Bien plus tôt, au Ier siècle de notre ère, dans son traité Les Métriques, Héron d'Alexandrie (alias Héron le Mécanicien), dans le Livre 3, commence par donner une formule pour calculer l'aire
où s est le demi périmètre du triangle (s = (a + b + c) / 2) et a, b, c les longueurs des trois côtés. Il applique cette formule au triangle de côtés 7, 8 et 9, donc s = 12 et
Comme 729 = 272 est le premier carré parfait après 720, divisons 720 par 27, ce qui fournit 26 + 2/3. Ajoutons au résultat précédent 27, ce qui donne 53 + 2/3. Divisons le tout par 2, pour obtenir 26 + 1/2 + 1/3. Ce nombre est déjà « proche » de
qui converge vers
Cependant, remontons encore dans le temps… Dans son traité Sur la mesure du cercle, Archimède, IIIe siècle avant notre ère, fournit l'approximation de suivante :
Encore une fois, malheureusement, aucune justification n'est fournie. Les historiens s'interrogent sur cette approximation : on ne sait toujours pas bien comment les Grecs s'y prenaient réellement pour extraire les racines carrées…
Par contre, on sait très bien comment l'opération s'effectuait avant l'avènement des calculettes (voir l'encadré sur le calcul à la main). Mais savez-vous comment opère votre calculette ? Elle n'automatise pas la méthode manuelle, et contrairement à une idée bien ancrée, elle n'utilise pas des développements en séries entières. Elle utilise des suites, issues de raffinements de la méthode de Newton. La méthode de Héron est d'ailleurs un cas particulier de la méthode de Newton : dans le cas de la recherche de la racine carrée de a > 0, la fonction est x2 – a, ce qui nous permet d'obtenir la suite de Héron.
Les ordinateurs à la ramasse
Exploitons cette méthode, par exemple avec a = 163 et u0 = 12. Comme il faut avoir une idée du résultat final, on peut partir de 12, car 163 est compris entre 144 et 169. De nombreuses techniques permettent d'évaluer a priori un résultat approché, ce qui va aider la convergence de la suite. Voici le résultat des itérations successives.
12,7671453348037 |
|
12 |
12 |
12,791666666 |
307 / 24 |
12,7671688382193 |
188 137 / 14 736 |
12,7671453348253 |
70 790 931 217 / 5 544 773 664 |
Le nombre de décimales exactes double (au minimum) à chaque boucle. Pour chaque itération, on effectue une addition et une division, et une division par 2, soit seulement trois opérations. Cette méthode est donc bien plus avantageuse que l'utilisation de séries ! En fait, l'inconvénient majeur de la méthode de Newton est la présence de la division, qui est une opération pénible et lente, même pour un circuit électronique. Il est possible de remplacer cette division par une suite (voir en encadré), en utilisant la méthode de Newton avec cette fois la fonction
Ainsi, une méthode, peut-être connue des Babyloniens et des Grecs, permet à vos calculettes d'extraire des racines carrées. Pour obtenir beaucoup plus de décimales, Newton vient à notre secours. Pour battre des records, les mathématiciens travaillent sur des algorithmes toujours plus performants et économes en ressources machine. Sinon, même les plus puissants ordinateurs seraient à la ramasse !
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