Choisir ou pas la spécialité « mathématiques » en première ?


Alice Ernoult et Sébastien Planchenault

Ceux qui ont des enfants en seconde et qui n'ont pas dans leur entourage immédiat un professeur de mathématiques au lycée se posent souvent la question : quelles spécialités choisir en première ? En particulier, est-il judicieux de prendre les mathématiques ?

La spécialité « mathématiques » en première générale a fait couler beaucoup d’encre ces dernières semaines. À la rentrée de septembre, les mathématiques ont été présentées comme la « spécialité reine » (67 % des élèves l’ont choisie), un certain nombre d’observateurs ayant l’air de regretter une sorte de conservatisme dans cette « suprématie » supposée (actuellement, 85 % des élèves de terminale générale étudient des mathématiques). Depuis, de nombreux élèves et professeurs ont témoigné de la difficulté de cet enseignement. On a moins entendu ceux qui apprécient cette spécialité et qui sont heureux de l’avoir choisie…

Les élèves de seconde doivent choisir dans les prochains mois comment ils souhaitent poursuivre leurs études au lycée : voie technologique ou voie générale ? quelle filière ? quelles spécialités ? et surtout, sur quels critères ? Les mathématiques se trouvent au carrefour de ces choix, mais il serait bien dommage qu’elles cristallisent l’ensemble des questions à se poser.

 

Le contexte de la rentrée 2019

Après à peine plus d’une année scolaire de préparation, c’est l’ensemble des lycées (voies professionnelle, technologique, générale), ainsi que le baccalauréat, qui ont été bouleversés par des réformes. L’accès à l’enseignement supérieur l’avait été en partie l’année précédente (avec la mise en place de Parcoursup en particulier) et l’organisation des études supérieures est en cours de modification pour prendre en compte, à la rentrée 2021, les changements des lycées. Il est donc bien difficile d’être très affirmatif sur les conditions d’accès à telle ou telle filière du supérieur, même si certaines ont déjà commencé à afficher leurs attentes. Il est évidemment très fortement conseillé (sinon nécessaire) d’étudier des sciences et des mathématiques au lycée si l’on souhaite poursuivre des études scientifiques. La question est cependant plus délicate pour des études qui requièrent des mathématiques, sans que cette matière soit centrale pour autant (cas de nombreux domaines des sciences humaines et sociales par exemple). Par ailleurs, l’immense majorité des lycéens, en particulier dans la voie générale, ne savent pas, en fin de seconde, vers quelles études ils souhaitent se diriger !

Malgré l’attention portée sur les mathématiques au niveau ministériel au début de l’année 2018, notamment avec la publication du rapport 21 mesures pour l’enseignement des mathématiques (dit « rapport Villani–Torossian », voir Tangente 181, 2018), les mathématiques n’ont pas reçu de traitement de faveur dans ces réformes, bien au contraire. Les horaires trop faibles et les conditions d’enseignement, notamment la multiplication de profils distincts dans une même classe, ne sont pas en adéquation avec les ambitions affichées. La différenciation des horaires et des programmes suivant les profils et les projets des élèves dans les anciennes filières a été présentée comme étant un « tuyau » ne laissant aucune place à la personnalisation des parcours et à l’expression des talents de chaque élève. Il y avait effectivement des effets pervers des filières, mais en niant la diversité des manières possibles d’enseigner et d’étudier les mathématiques, les élèves qui souhaitent étudier cette matière au lycée sont, de fait, plus limités aujourd’hui qu’hier (voir en encadré). Le programme de la spécialité « mathématiques » de première a en effet été écrit, en lien avec celui de terminale, pour offrir aux élèves qui choisissent cette voie un enseignement à la hauteur de ce que l’on peut attendre d’une spécialisation en mathématiques à l’échelle du lycée. Cela signifie qu’il demande un niveau d’abstraction supplémentaire par rapport à la classe de seconde et qu’il contient un nombre conséquent de notions nouvelles. À raison de quatre heures hebdomadaires, avec des classes plus hétérogènes qu’auparavant (notamment en termes de motivation), dans un contexte où toutes les évaluations « comptent » pour le baccalauréat, l’ambition de ce programme paraît difficile à atteindre pour certains élèves et on comprend les inquiétudes exprimées depuis quelques mois.

 

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Quelles mathématiques au lycée général ?

Depuis la rentrée 2019, les enseignements de première et terminale générales sont constitués d’un tronc commun, de spécialités et, éventuellement, d’options.

Le tronc commun de seize heures en première (et quinze heures trente en terminale) est constitué de français (en première), philosophie (en terminale), histoire-géographie, enseignement moral et civique, deux langues vivantes, éducation physique et sportive et enseignement scientifique.

Les spécialités sont à choisir parmi douze possibles (certaines ne sont pas présentes dans tous les lycées). En première, les élèves en choisissent trois, pour un horaire hebdomadaire de quatre heures chacune, puis en conservent deux en terminale, pour un horaire hebdomadaire de six heures chacune. Parmi ces spécialités se trouvent les mathématiques, la physique-chimie, les sciences de l’ingénieur, le numérique et les sciences informatiques, les sciences de la vie et de la Terre.

Il n’est pas obligatoire de choisir une option supplémentaire et chaque lycée est libre de proposer, ou non, des options dans le cadre d’une enveloppe horaire globale attribuée par le rectorat. Aux côtés des options qui existaient déjà (langues vivantes, langues anciennes, pratiques artistiques), ont été crées trois options pour la classe de terminale, dont deux de mathématiques : mathématiques expertes (réservée aux élèves suivant déjà la spécialité mathématique en terminale) et mathématiques complémentaires (pour les élèves ne suivant pas la spécialité mathématiques en terminale, avec un programme en appui sur la spécialité de première).

 

Un enseignement en lien avec les sciences

 

Avant la réforme, avec l’organisation en filières (S, ES, L), un élève de première pouvait choisir entre étudier des mathématiques dans le cadre d’une formation scientifique (S) ou dans le cadre d’une formation tournée vers les sciences économiques et sociales (ES). À partir de la rentrée 2019, les élèves de première rencontrent les mathématiques à travers l’enseignement scientifique, toujours en lien avec les sciences physique et les sciences de la vie et de la Terre. Ceux qui veulent acquérir de nouvelles connaissances mathématiques n’ont actuellement qu’une seule option : suivre la spécialité « mathématiques ».

Un enseignement spécifique de mathématiques dans le tronc commun de la voie générale et une seconde spécialité « mathématiques » avec un esprit différent permettraient de redonner aux lycéens et aux enseignants une plus large palette d’activités mathématiques.

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Tant de façons d’aimer les maths…

On aurait pu espérer que le lycée général offre aussi la possibilité de renforcer ses compétences « élémentaires » de calcul (comme dans la voie technologique par exemple), de mieux comprendre la nature d’un modèle mathématique (au-delà de ce qu’il est possible de faire dans l’enseignement scientifique), de pratiquer la recherche pour résoudre un problème, d’explorer les liens entre mathématiques et autres disciplines (sciences économiques et sociales, arts, philosophie, géographie…). Les lecteurs de Tangente le savent bien, il y a de nombreuses manières d’aimer les mathématiques et de s’y intéresser ! L’horaire disponible pour enseigner le programme de spécialité de première laisse peu de place à cette diversité. Les élèves qui poursuivront au-delà de la classe de première pourront retrouver cette diversité plus tard, mais on peut craindre que les autres restent sur une image un peu austère, ou du moins sans nuances, des mathématiques…

 

 

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références

o Dossier « Faut-il supprimer le bac ? ». Tangente 170, 2016.
o Dossier « Les laboratoires de mathématiques ». Tangente Éducation 48, 2019.