Quand on évoque les mathématiques du traitement d'images, on pense évidemment à la compression, à la transmission, au débruitage ou à la restauration de fichiers numériques. On ne connaît pas toujours leurs autres applications, à l'art par exemple, pour aider à la restauration de fresques.

On dit souvent qu’une image vaut mille mots. En effet, parmi les plus jeunes, les images numériques sont devenues le moyen le plus utilisé pour la communication non verbale.

Le traitement d’images est la discipline scientifique qui s’occupe de « manipuler » les images numériques ou d’extraire des informations à partir de leur contenu. Parmi les exemples connus, on compte la compression, qui permet d’éviter que les images occupent trop d’espace dans nos ordinateurs ou disques durs, le débruitage, dont le but est d’éliminer les imperfections d’une image acquise avec une illumination faible, la gestion des couleurs, qui sert à obtenir un rendu chromatique plus satisfaisant, ou encore l’imagerie médicale, qui aide les médecins dans la détection et le soin des maladies.

La diffusion massive des images numériques sur Internet et dans les smartphones justifie que l’on porte un intérêt grandissant à leur traitement. En fait, depuis une quinzaine d’années, ce type de recherche est l’une des plus importantes dans le domaine des mathématiques appliquées et de l’informatique.

 

Le débruitage

Les premiers modèles de débruitage reposaient sur un principe très simple : il s’agissait de remplacer la couleur de chaque pixel de position x dans l’image avec la moyenne des couleurs des pixels d’un voisinage centré en x. Ce voisinage doit être « suffisamment petit » pour garantir que les couleurs que le professionnel va moyenner sont visuellement « similaires » à la couleur du pixel central. La théorie des probabilités assure que si la moyenne est faite sur neuf pixels, l’écart type du bruit de la moyenne est divisé par 3, et donc l’image est débruitée (voir le dossier « Le théorème central limite » dans Tangente 168, 2016).

Une version plus moderne et efficace de cette technique a été proposée par Antoni Buades, Bartomeu Coll et Jean-Michel Morel dans un article publié en 2005 et disponible en ligne. Cette méthode de débruitage est vite devenue l’une des plus connues… et des plus utilisées au cours de ces quinze dernières années. L’idée à la base de ce modèle est la suivante : si, pour chaque pixel de position x, on réussit à trouver dans toute l’image un autre voisinage de neuf pixels qui possède des couleurs similaires à celles du voisinage de x, alors la moyenne sur les deux voisinages va réduire d’un facteur 9 l’écart type du bruit de l’image. Bien sûr, cette idée peut être répétée à plusieurs voisinages.

Le point clé de la théorie est que ces voisinages ne sont pas forcément « proches » de la position x du pixel que l’on veut débruiter. La mise en œuvre technique de cette idée est possible grâce au fait que les images numériques ont tendance à présenter une forte autosimilarité ; on peut alors retrouver, dans des parties différentes de l’image, sensiblement la même répétition de pixels. C’est donc une propriété statistique des images qui permet de réduire l’éventuelle présence de bruit. La moyenne opérée par l’algorithme présenté est pondérée par des poids opportuns, qui permettent d’optimiser le résultat de débruitage. Dans la figure suivante sont présentés un exemple d’image bruitée (à gauche) et sa version débruitée par l’algorithme.

 

À gauche, l’image originale, avec du bruit.

À droite, l’image débruitée via l’algorithme de Buades, Coll et Morel.


La restauration d’œuvres d’art 

La fresque est une technique de peinture murale réalisée directement sur l’enduit avant qu’il ne soit sec. Souvent, de telles œuvres ne résistent pas bien à l’épreuve du temps, sans même parler des évènements traumatiques qui peuvent altérer le support (tremblements de terre, incendies, bombardements, inondations, accidents…). Des pans de la fresque peuvent tomber à même le sol en laissant une partie d’enduit visible, que les restaurateurs appellent lacuna.

 

Une fresque avec des lacunae introduites artificiellement. 

 

La fresque restaurée avec la méthode décrite dans l’article.

 

La technique de restauration la plus répandue consiste alors à lisser l’enduit d’une lacuna et à le peindre d’une manière uniforme avec une teinte de peinture qui minimise la perception de la lacuna dans l’ensemble de la fresque. Le traitement d’image peut aider les restaurateurs à choisir la teinte opportune et à la tester sur un écran, ce qui permet d’épargner beaucoup de temps et de travail aux artisans, par rapport à faire des essais directement sur la fresque.

 

À gauche : une fresque avec des lacunae. 

À droite : La fresque restaurée.

 

Avec la complicité de Luca Grementieri, l’auteur de cet article a proposé en 2016 une technique mathématique pour sélectionner la teinte qui minimise la perception de la lacuna en se basant sur des méthodes variationnelles. Nés dans le domaine de la physique théorique, les principes variationnels ont essaimé dans toutes les sciences. L’idée à la base de ces techniques consiste à identifier la solution optimale à un problème avec la minimisation d’une fonctionnelle (une fonction à valeurs réelles définie sur un espace adéquat de fonctions).

Ici, la fonctionnelle à minimiser pour donner une solution optimale au problème de la restauration de lacunae dans les fresques est donnée par une mesure de contraste visuel entre la lacuna et le reste de l’image. Le minimum est atteint par la teinte qui rend ce contraste le plus petit possible, de manière que la perception visuelle de la lacuna sera minimisée si elle est remplacée par une peinture qui a cette teinte. Dans la figure ci-dessus, on peut voir le résultat de cette technique sur l’image de la fresque Rachel cache les idoles de son père du peintre italien Giovanni Battista Tiepolo, réalisée entre 1726 et 1729 et située dans le palais patriarcal d’Udine, en Italie.

Les statistiques et les modèles variationnels ne sont qu’une partie de la vaste gamme de techniques mathématiques que les scientifiques utilisent couramment pour leurs besoins en traitement d’images. Selon la nature du problème rencontré, on va aussi pouvoir mobiliser l’analyse fonctionnelle, la géométrie différentielle, l’analyse de Fourier, l’analyse en ondelettes, les probabilités, l’optimisation ou encore l’algèbre linéaire. Souvent, la combinaison de plusieurs méthodes mathématiques sera nécessaire pour obtenir une solution efficace à un problème d’imagerie, ce qui montre la richesse et la complexité de cette discipline, à la fois si fascinante sur le plan théorique et si utile dans les applications.

Edoardo Provenzi est professeur à l’Institut de mathématiques de l’université de Bordeaux (Gironde).

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