
Tangente : Pouvez-vous nous décrire votre parcours professionnel ?
Frédéric Bertrand : Après mon baccalauréat scientifique au lycée Kléber de Strasbourg (Bas-Rhin), j’ai choisi d’intégrer les classes préparatoires dans le même établissement pour poursuivre ma formation. Cette filière permet d’améliorer la manière de travailler, de développer sa rigueur tout en approfondissant les connaissances scientifiques abordées au lycée, dans mon cas, principalement entre les mathématiques et la physique. J’ai été admis, au bout de trois années de « prépas », à l’ENS Lyon, par la voie des mathématiques. En parallèle, je me suis toujours intéressé à l’informatique et en particulier à la programmation.
Pourquoi la programmation ?
Parce que pour bien savoir programmer, il faut être astucieux et curieux. La programmation, comme les mathématiques, ont toujours été un divertissement qui prend la forme de défis, une sorte de jeu ! J’ai commencé par le langage LOGO sur mon ordinateur à 10 ans, et j’ai trouvé cela captivant.
Pour trouver de la donnée, rien ne vaut les entreprises
Quel est aujourd’hui votre quotidien ?
Je fais de la recherche en m’intéressant plus généralement à toutes les méthodes qui traitent et analysent la donnée : des modèles basés sur l’apprentissage statistique, l’intelligence artificielle, ou plus traditionnels. Ce qui est intéressant est de parvenir à mettre en équation des situations réelles. Mais pour cela, il faut trouver de la donnée, et dans cet objectif, rien ne vaut d’être en contact avec les entreprises.
Comment entrez-vous en contact avec les entreprises ?
Dans un premier temps, via des étudiants qui y ont des stages, aussi bien en formation initiale qu’en formation continue. Mais aussi par les contrats de collaboration que je mets en place avec certaines entreprises.
Qu’est-ce qui vous motive pour prendre le temps nécessaire, en plus de votre recherche académique, à engager des collaborations avec les entreprises, en particulier leurs services R&D ?
Je l’ai compris assez rapidement dans ma carrière d’enseignant-chercheur. Être en contact avec les entreprises est pour moi incontournable pour deux raisons. Cela permet :
- d’enseigner aux étudiants les outils dont ils vont avoir besoin dans leur carrière future de statisticien, d’ingénieur ou de modélisateur ;
- de mettre en place des collaborations qui pourront faire émerger de nouveaux sujets de recherche. C’est une manière de faire des mathématiques appliquées qui traitent des sujets de la vie quotidienne.
Êtes-vous encouragé dans cette voie par votre environnement universitaire ?
Les interactions avec les entreprises et les industries ne sont pas toujours perçues comme nécessaires par une partie de la communauté mathématique.
Il est vrai que certains domaines en mathématiques n’ont pas forcément besoin de ce type d’interactions. Mais j’ai la chance que ma spécialisation le permette. D’ailleurs, plusieurs initiatives et en particulier via l’INSMI (Institut national des sciences mathématiques et de leurs interactions) ont été créées pour favoriser le développement des collaborations avec les entreprises, les industries et plus généralement avec les autres acteurs de la société.
Parmi ces initiatives, certaines ont-elles été plus marquantes que les autres ?
Très clairement, celle de l’AMIES. L’Agence des mathématiques en interaction avec l’entreprise et la société soutient régulièrement mes projets et je tiens à la remercier pour cela. Parmi l’éventail d’actions possibles au sein de l’AMIES, je peux citer le soutien que je sollicite le plus souvent : le PEPS (« projets exploratoires, premiers soutiens »), qui s’inscrit dans la continuité du programme PEPS « Maths-Industrie » initié par l’INSMI en 2009, avec une amplification des moyens et des modifications de fonctionnement qui le rend plus réactif et plus souple pour les laboratoires.
Pour résumer, c’est une collaboration entre l’institut de recherche (le laboratoire auquel est rattaché l’enseignant-chercheur ou le chercheur) et une entreprise qui permet de débuter un tel projet.
Des conseils aux étudiants, des lycéens aux thésards
Quel est le lien entre les partenariats d’entreprises et les thèses que vous encadrez ?
Le titre de mon HDR (habilitation à diriger la recherche, soutenue en décembre 2018 à l’université de Strasbourg) est Contributions à la modélisation statistique et à ses applications en biologie et dans le monde industriel. J’encadre plusieurs thèses sur le sujet, qui ont toutes des partenaires issus de divers domaines. Ainsi, l’une d’entre elles, faite en collaboration avec une chargée de recherche en chimie, est financée par le laboratoire d’excellence IRMIA (Institut de recherche en mathématiques, interactions et applications). Une autre, en collaboration avec l’Électricité de Strasbourg, est financée par un dispositif CIFRE ; une troisième, en collaboration avec la faculté de médecine, est financée par… l’Indonésie !
Quels seraient les conseils que vous donneriez à un élève de première ou terminale pour devenir ingénieur ou chercheur ou modélisateur, en deux mots, devenir un « Data Scientist », métier élu le plus sexy au monde par la Havard Business Review ?
Je conseillerais à un élève qui souhaite devenir un Data Scientist d’étudier les mathématiques, l’informatique, de savoir programmer, et de lire et parler l’anglais presque couramment. La science des données que l’on voit émerger partout est la rencontre de trois domaines : mathématiques, informatique et connaissances métier.
Cette année scolaire 2019–2020 a été déclarée par le ministre de l’Éducation nationale et de la Jeunesse l’« Année des mathématiques ». Elle est pilotée par le CNRS et l’INSMI. Y participez-vous ?
Les manifestations qui sont organisées cette année dans les laboratoires de recherche, dans les universités, dans les écoles d’ingénieur et dans les lycées sont extrêmement importantes.
Il faut montrer que les mathématiques sont omniprésentes : nous ne soupçonnons parfois même pas qu’elles régissent certains systèmes complexes de la nature !
Personnellement, on m’a demandé d’intervenir le 17 janvier 2020 à Strasbourg, journée organisée par l’AMIES et qui s’intitule « Les métiers autour des mathématiques ».
Il faut montrer aux enseignants du secondaire qu’il y a évidemment beaucoup d’autres métiers qui nécessitent les mathématiques que le métier d’enseignant.
Propos recueillis par Myriam Maumy
Myriam Maumy est maître de conférences à l’université de Strasbourg et facilitatrice du Grand Est pour l'AMIES.
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