Pythagore bien plus qu'un théorème


Élisabeth Busser

Pythagore, bien plus qu'un célèbre théorème, c'est tout un édifice philosophique qui va influencer, au-delà des mathématiques et de l'astronomie, la musique elle-même. Au-delà des sciences, l'histoire n'en a donc pas fini avec le « Samien aux longs cheveux » !

Qui aujourd'hui ne connaît pas le théorème qui porte le nom de Pythagore, mais qui connaît la vie et l'œuvre de ce mathématicien-philosophe ? Son héritage dépasse largement le cadre de de théorème aux cent démonstrations. Qu'on parle avec déférence de l'école pythagoricienne ou avec défiance de la secte des pythagoriciens, on ne peut ignorer ce qu'on doit à ce penseur et à ses disciples.


Des mathématiciens chez Pythagore

La vie du savant grec est entourée de mystère puisqu'il n'en existe aucune trace écrite de son vivant ; elle n'a été reconstruite que par des historiens tardifs, comme Diogène Laërce ou Jamblique, au IIIe siècle.

Influencé par Thalès et Anaximandre, Pythagore avait certes de l'intérêt pour la géométrie et la cosmologie, et au « demi-cercle » de Samos, les échanges portaient plutôt sur les divers usages des mathématiques que sur leur théorie. Dans sa nouvelle école de Crotone, à la fois philosophique, scientifique, politique et religieuse, les femmes étaient admises sans problème ; Pythagore a même épousé l'une d'elles, Theano, qui lui survivra et continuera son œuvre. Le système fonctionne comme un Ordre, avec une hiérarchie forte en quatre degrés : les postulants, en quête d'une admission, les néophytes, pendant leurs trois ans de probation, les acousmaticiens (άκουσματικοί), limités à écouter sur cinq ans, mais sans les démonstrations, le maître caché derrière un rideau, et enfin, les mathématiciens (μαθηματικοί, « savants ») n'ayant droit à aucun bien personnel et végétariens, admis à voir Pythagore derrière le fameux rideau et cette fois avec démonstrations. Parmi eux, les contemplatifs étudient particulièrement l'arithmétique, la musique, la géométrie et l'astronomie. Étudier signifie ici non pas poser ni résoudre des pro­blèmes, mais s'intéresser au concept de nombre, à celui de figures géométriques où à l'idée abstraite de démonstration. Pour les pythagoriciens, dans le triangle rectangle, le carré de l'hypoténuse est vu plus comme un carré véritablement construit sur l'hypoténuse que comme le produit de la longueur de l'hypoténuse par elle-même et la somme de deux carrés égale à un troisième carré n'est rien d'autre qu'une sorte de puzzle permettant, à partir des deux premiers, de reconstituer le troisième. La démonstration d'Euclide du théorème de Pythagore, même si elle ne cite pas explicitement son nom, n'a donc rien d'étonnant.
Les pythagoriciens, dont on ne dissocie plus les travaux de ceux de leur maître, ont fait changer l'approche grecque des mathématiques. Pythagore lui-même, refusant devant Léon, le tyran de Phlionte, le qualificatif de « sage » (σ*οό ς, sophos) se définit comme « philoso­phe » (philo-sophos) et soumet à sa philosophie sa vision même des mathématiques. Il va, comme le dit le philosophe grec Proclus en 450, transformer « l'étude de la géométrie en une éducation plus vaste, reconsidérant les principes de la science à partir du début et cherchant à éclaircir les théorèmes d'une façon immatérielle et intellectuelle », débordant donc largement des frontières du « théorème des trois carrés ». Aristote rapporte que pour lui et ses disciples « les choses sont des nombres […] et les nombres se trouvent dans les choses », une conception pour eux indissociable des considérations géométriques, physiques, cosmologiques ou même artistiques. Ainsi, en musique, Pythagore et les siens font-ils le lien entre rapport de nombres et sons émis par une corde vibrante : une diminution de moitié de la longueur d'une corde tendue donne un son « semblable » au son initial, à l'octave supérieure, une diminution du tiers donne un son nouveau, à la quinte du son initial, les deux autres tiers, puisque deux fois plus longs, donnant un son à l'octave de celui-ci. La fréquence du son est inversement proportionnelle à la longueur de la corde : une corde de longueur moitié donne une fréquence double. De ce partage d'une octave naîtra la fameuse « gamme de Pythagore » : voilà les pythagoriciens passés de la philosophie du nombre à l'art musical.
Qui dit nombre pour eux dit, par extension, catégories de nombres, qu'ils définissent en fonction des figures qu'ils forment : nombres triangulaires, carrés, pentagonaux. « Pythagore a systématisé l'arithmétique grecque, qui est décimale et nominative, alors que la numération chaldéenne était sexagésimale et de position » écrit Jean-François Mattéi (Pythagore et les pythagoriciens, Presses universitaires de France, 2013).


Une géométrie de constructions

Des nombres pentagonaux 1, 5, 12… au pentagramme, il n'y a qu'un pas. Les pythagoriciens en firent leur signe de reconnaissance. C'est dans cette figure que l'architecte romain Vitruve (–90, 20) retrouva le nombre d'or, rapport de la diagonale au côté du pentagone régulier, et s'en inspira pour la géométrie de ses constructions. « Pythagore a inventé la manière de tracer un angle droit sans avoir besoin de l'équerre dont se servent les ouvriers » écrit-il, ne cachant pas son admiration. C'est donc bien peu de ramener Pythagore à « son » seul théorème : sa pensée a, par son souci d'unifier les lois de l'univers, considérablement influencé et pour longtemps tous les domaines du savoir.


 

 


références

Le dossier Pythagore. Pierre Brémaud. Ellipses, 2010.