
Les équations du second degré, c'est-à-dire celles faisant intervenir l'inconnue au carré, sont étudiées depuis des millénaires. On en trouve des traces particulièrement anciennes sur des tablettes d'argile mésopotamiennes sur lesquelles sont encore inscrits de charmants problèmes vieux de plus de 3 500 ans. Les idées développées alors étaient déjà substantielles, mais l'écriture moderne des mathématiques nous permet de mieux saisir encore la force des identités remarquables dans la résolution de ces équations.
Prenons un exemple pour entrer dans le vif du sujet. Comment trouver les solutions de l'équation x2 + 3x + 1 = 0 ? Pour qui ne se souvient pas avoir un jour abordé de telles questions, la solution semble assez inextricable. Et pourtant, il suffit de deviner où se cache une identité remarquable. Vous ne la voyez pas ? Rien d'anormal, elle n'est pas encore complète ! Pour commencer, réécrivons notre équation sous la forme x2 + 3x = –1, puis regardons le membre de gauche.
Souvenez-vous : (a + b)2 = a2 + b2 + 2ab.
Avec un peu d'attention, on remarque que x2 + 3x est le début d'une identité remarquable :
Forts de ce constat, réécrivons notre équation :
ce qui nous donne alors
Le plus dur est fait ! On en déduit maintenant que soit
soit
et finalement on trouve deux solutions :
Vers une formule discriminante
Évidemment, on ne va pas en rester là. La méthode se généralise bien à toutes les équations du second degré. Considérons donc l'équation (E) : ax2 + bx + c = 0 où a est non nul (sans quoi l'équation ne présente guère de grands mystères). Essayons de faire apparaître une identité remarquable. (E) est équivalente à
et donc aussi à
Il reste à dévoiler l'identité remarquable cachée derrière tout cela :
L'équation (E) est alors équivalente à
ce qui s'écrit aussi
On en déduit alors que
Finalement,
N'allons pas trop vite en besogne cependant. Tout dépend du signe de b2 – 4ac. Ce nombre, souvent noté
Le cas des équations du second degré étant réglé, pourquoi ne pas s'attaquer à celui des équations du troisième degré ? Là aussi, les identités remarquables sont d'un grand secours, mais il aura fallu du temps avant d'établir une méthode de résolution complète. Les savants de l'Antiquité grecque procédaient géométriquement, par intersections de courbes. Les évènements se sont emballés à la Renaissance italienne, avant de se stabiliser parfaitement avec Leonhard Euler à la fin du XVIIIe siècle.
Une première utilisation des identités remarquables permet de se ramener à une équation du type x3 + px + q = 0 (voir en encadré).
Considérons par exemple l'équation (E) : x3 – 6x – 8 = 0, qui s'écrit aussi x3 = 6x + 8.
L'idée géniale du Bègue
L'idée (géniale !) publiée en 1545 dans son ouvrage Ars Magna par Jérôme Cardan, et qu'il tiendrait de Niccolò Fontana, dit le Bègue, consiste à penser que x est la somme de deux nombres u et v. Le terme x3 est donc égal à u3 + 3u2v + 3uv2 + v3, c'est-à-dire à u3 + v3 + 3uv(u + v). L'équation (E) est alors équivalente à u3 + v3 + 3uv(u + v) = 8 + 6(u + v). En identifiant les deux membres terme à terme, on constate que trouver deux nombres u et v tels que u3 + v3 = 8 et 3uv = 6 nous permettrait de résoudre l'équation (E).
Pour cela, un nouveau changement de variable s'impose : notons U = u3 et V = v3. On cherche donc maintenant deux nombres U et V tels que U + V = 8 et UV = (6/3)3 = 8.
Trouver deux nombres dont on connaît la somme et le produit est un problème analogue à celui traité précédemment ! En effet, U et V sont solutions de l'équation (y – U)(y – V) = 0, qui s'écrit aussi y2 – (U+V)y + UV = 0. Autrement dit, U et V sont solutions de l'équation y2 – 8y + 8 = 0, une équation du second degré qui n'a plus aucun secret pour nous.
Après calcul, on trouve
On a donc
et, finalement,
est une solution de (E).
Ouf… Ce n'est pas en tâtonnant par hasard que l'on aurait trouvé une telle solution.
Voilà une bien belle résolution, mais que se passe-t-il si l'équation du second degré à laquelle on se ramène n'a finalement pas de solution ? Tous nos espoirs sont-ils ruinés ? Non, et c'est la l'un des plus merveilleux moments de l'histoire des sciences : en imaginant des nombres dont le carré est négatif, les mathématiciens italiens ont procédé aux mêmes calculs, qui ont abouti, après simplifications, à des solutions bien réelles. C'est ainsi que sont nés les nombres complexes.
Galvanisés par ce succès, des mathématiciens comme Ludovico Ferrari ont proposé des méthodes de résolution des équations du quatrième degré, puis tout le monde a « séché » sur les équations de degré 5.
La réponse stupéfiante à cette quête des solutions aux équations de degré 5 (et plus) ne sera donnée qu'au début du XIXe siècle par Niels Abel, Paolo Ruffini et Évariste Galois : il n'y a pas de formule générale au-delà du degré 4.
Et c'est là un tout autre monde qui s'est ouvert aux mathématiciens…