Les fondements du calcul différentiel


François Lavallou

Une célèbre querelle scientifique autour des infiniment petit opposa Rolle et Varignon.

1700 : débats entre Rolle et Varignon à l'Académie

Jean Bernoulli est le principal artisan de la diffusion en France d'une « nouvelle méthode » de calcul créée par Leibniz en 1684, en donnant, contre paiement, des leçons au marquis mécène Guillaume de L'Hospital (1661-1704), qui publie en 1696 le premier traité de calcul différentiel. Mais, en février 1697, Philippe de La Hire (1640-1718) présente un court mémoire à l'Académie royale des sciences, dans lequel il émet des réticences sur la méthode des infiniment petits, qui, sans précaution, peut conduire à des erreurs.
Ses doutes sont partagés par l'abbé Bignon (seize fois président de l'Académie de 1699 à 1734 !) et Michel Rolle, qui lance un débat le 17 juillet 1700 avec un mémoire qui attaque le manque de rigueur des concepts fondamentaux du calcul leibnizien. Pierre Varignon prend alors, à son corps défendant, la défense du nouveau calcul en août 1700 : « M. le marquis de l'Hospital est encore à la campagne de sorte que je me trouve seul ici chargé de la défense des infiniment petits, dont je suis le vray martyr tant j'ay desja soutenu d'assauts pour eux contre certains mathématiciens du vieux stile, qui chagrins de voir que par ce calcul les jeunes gens les attrapent et même les passent, font tout ce qu'ils peuvent pour la décrier, sans qu'on puisse obtenir d'eux d'écrire contre. »
 
 

La querelle des infiniment petits

 
Après un mémoire en novembre 1700, Rolle présente dans un troisième, en mars 1701, l'étude de courbes pour lesquelles la méthode des infiniment petits ne donne pas de solutions exactes à la détermination d'extrema. Dans sa réponse du 9 juillet 1701, Varignon montre que l'« erreur » provient simplement d'une mauvaise application des méthodes différentielles. Mais Rolle est tenace et présente encore deux mémoires, en mai et juillet 1701. La polémique devient trop personnelle et le président de l'Académie, l'abbé Bignon, le met en garde. Le dernier écrit de Rolle dans son débat-duel avec Varignon date du 2 juillet 1701. On y retrouve les mêmes critiques et mêmes réponses que précédemment. Il est temps d'en finir, et une commission, composée du Père Gouye, de Cassini et de La Hire, est nommée pour gérer ce débat. Les échanges continueront jusqu'en 1706 dans le Journal des sçavants avec Joseph Saurin en remplacement de Varignon, respectueux de l'ordre de faire silence.
 

Les souvenirs de Fontenelle

 
Pour décrire la polyvalence de Bernard Le Bouyer de Fontenelle (1657-1757), remarquable homme d'esprit, Voltaire écrira que « d'une main légère il prenait le compas, la plume et la lyre ». Sa longévité lui permit de faire l'éloge de nombreux académiciens, dont Rolle et Varignon. Il nous présente ainsi ce dernier, disant qu'« il allait souvent disputer à des thèses dans les classes de philosophie, & il brillait fort par la qualité de bon argumenteur, à laquelle concourraient & le caractère de son esprit, & sa constitution corporelle, beaucoup de force & de netteté de raisonnement d'un côté, & de l'autre une excellente poitrine, & une voie éclatante », et que « quand cette belle & sublime méthode fut attaquée dans l'académie même, car il faloit qu'elle subit le sort de toutes les nouveautés, il en fut un des plus ardents défenseurs, & il força en sa faveur son caractère naturel ennemi de toute contestation ». La personnalité de Rolle est toute autre : « Ses idées pouvoient se nuire les unes aux autres par leur multitude, & l'espace borné de nos mémoires ne suffisoit pas toujours pour les contenir toutes, le champ étoit trop petit pour y ranger l'armée en bataille. »
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